Jean-Philippe Thivet dispense, pour le PILEn, un cycle de trois formations sur la coédition. Après "La coédition, pour quoi et avec qui", voici un aperçu de la deuxième formation du 25 avril 2019, consacrée à l'aspect juridique.

 

Comment réaliser un contrat de coédition ? 

Comme Jean-Philippe Thivet l’a abordé lors de la première formation, une coédition passe par une SEP (Société En Participation), qui n’a aucune existence légale. Pour éviter tout désagrément, il s’agit donc de documenter le partenariat au maximum, ce qui passe par l’établissement d’un contrat de coédition. Mais que mettre (ou ne pas mettre) dans un tel contrat ? Pour y répondre, nous avons accueilli Robert Sillen, directeur juridique des éditions Casterman.  
 

Structure type d’un contrat de coédition 

Pour Robert Sillen, la structure type d’un contrat de coédition commence par l’objet ; on dresse un descriptif général du projet, le plus précis possible : s’agira-t-il d’un livre classique, d’un projet multimédia faisant intervenir des secteurs différents ? Quel sera le prix de vente et la date de parution ? On établit aussi la forme de la coédition, généralement une société en participation. On indique par ailleurs qui sera le-la coéditeur-trice gérant-e, ou porte-fort, qui suivra le travail d’adaptation si c’en est un, qui assurera la mise en vente, qui établira les comptes, etc. Dans la base du contrat de coédition, on parle aussi des mentions, à savoir comment créditer les coéditeurs-trices : tou-tes les coéditeurs-trices auront-ils-elles leurs logos en première de couverture ? Avec la même taille ? On précise par ailleurs les canaux d’exploitation prévus : exploitation numérique ou pas, vente dans le monde entier ou pas, etc. A cette fin, il convient de vérifier si les canaux de diffusion sont compatibles, dans le cas d’une adaptation de roman en BD par exemple, avec les contrats d’auteurstrices de la maison d’édition du roman. On demande donc une copie du contrat des auteurs-trices du roman pour vérifier si l’exploitation prévue est possible. Si la chaine des droits est complète.  
 
Le porte-fort de la coédition ne doit pas forcément être le même à chaque endroit et à chaque moment de la vie du projet ; dans le contrat de coédition, on intègre les apports respectifs des partenaires en termes de droits d’auteurs, d’accès à des canaux de vente spécifiques, de mise à disposition d’une marque, d’expertise en fabrication ou promotion, etc. Et on précise qui a le leadership sur quoi en fonction de ces apports propres, ou de l’assise géographique de chacun. Comme précisé par Jean-Philippe Thivet en mars dernier, l’un des grands avantages de la coédition est l’extrême souplesse de sa structuration : tout est possible, ou presque.  
 
Dans un contrat de coédition bien construit, une clause de garantie est également ajoutée. Cette clause prévoit que le-la coéditeur-trice garantit son-sa partenaire contre le manquement aux apports lui étant propres. Exemple : un-e éditeur-trice de roman garantit à un-e éditeur-trice de BD les droits d’adaptation du roman. Une clause d’exclusivité est aussi prévue. Sur base du même exemple : un-e éditeur-trice de roman s’engage à ce qu’une autre BD se basant sur le même roman ne soit pas réalisée en parallèle. 
 
Quand rédiger un contrat de coédition ? Il s’agit, d’une part d’attendre d’avoir suffisamment de données (notamment les charges et les produits), d’autre part de ne pas attendre d’avoir engagé 
des réalisations concrètes. La réponse serait le plus tôt possible, pour ne pas se retrouver avec des points de désaccord insurmontables alors que le projet est déjà bien avancé.  
 

Des charges de gestion au droit applicable : comment bien administrer sa coédition 

Une coédition nécessite forcément un travail de gestion administrative, allant du dépôt légal à l’établissement des comptes. Ce travail sera réalisé par le-la coéditeur-trice gérant-e, ou porte-fort. La coédition implique également une série de décisions. Comment ces décisions, telle que le tirage du livre, seront-elles prises ? Seront-ce des décisions collectives, ou de simples validations par le-la coéditeur-trice non gérant-e seront-elles possibles ? Il est très important de le préciser dès le contrat de coédition.  
 
En ce qui concerne les produits et les charges, il s’agit d’être particulièrement exhaustif en amont. En effet, ce qui peut sembler couler de source pour un-e coéditeur-trice ne coule pas forcément de source pour l’autre coéditeur-trice, en particulier si le secteur d’activité n’est pas le même. C’est pourquoi il s’agit de dresser un compte d’exploitation prévisionnel, qui permet d’identifier l’ensemble des dépenses certaines et de prévoir des recettes anticipées réalistes (voir cidessous pour plus de détails). Dans ce compte d’exploitation, Robert Sillen conseille de faire particulièrement attention à ce que les charges de gestion du porte-fort soient évaluées proportionnellement au chiffre d’affaires. Ces frais de gestion, induits par le suivi quotidien inhérent au projet, seront pris en charge par la société en participation. Généralement, on établit ces frais à hauteur de 2 à 6 pourcents du chiffre d’affaires. Mais on peut aussi décider d’appliquer un forfait gestion, unique ou dégressif. On peut enfin décider que les frais de gestion soient calculés par rapport au bénéfice, et non au chiffre d’affaires. Dans le contrat de coédition, on fixe aussi le partage du résultat, classiquement à 50/50. Mais on peut décider par exemple qu’un-e éditeur-trice spécialiste des ventes numériques percevra une plus-value sur ces dernières. A nouveau, tout est possible en théorie. Le seul prescrit légal est l’interdiction des clauses léonines.  
 
La durée de coédition peut aussi être encadrée, en incluant des renouvellements tacites, des causes et des modalités de résiliation. En la matière, Jean-Philippe Thivet recommande de déterminer un temps de partenariat relativement court ; sur la durée de vie d’un livre, les couts d’entreposage sont susceptibles de venir sérieusement grever un budget. Par ailleurs, qu’advient-il du stock à la dissolution de la coédition ? Ecoule-t-on ou détruit-on les exemplaires restants ? Il convient aussi de le préciser dès le début.
 
En cas de conflits entre coéditeurs-trices, on peut aussi fixer quel droit sera applicable et quel tribunal sera compétent. L’usage veut que ce soit le droit et le territoire du-de la coéditeur-trice gérant-e, mais on peut imaginer un compromis : en fonction de qui est la partie défenderesse et de qui est la partie demanderesse, le droit et le territoire applicables seront différents. L’idéal est d’intégrer en outre une clause d’arbitrage et de médiation
 
Enfin, les annexes au contrat de coédition sont importantes. C’est ici qu’on place la note d’intention (un descriptif détaillé, et non général, du projet), les contrats passés avec les tiers (voir notre exemple avec les auteurs-trices de romans adaptés) ou encore les modèles de comptes d’exploitation. La bonne pratique est d’avoir un contrat de 10 pages complété par 15 pages d’annexe, plutôt que 25 pages de contrat sans annexes. En effet, ceci permet de faire avancer le projet plus vite, en déportant des discussions techniques sur les annexes. 
 
A noter que si les collaborations entre des coéditeurs-trices donné-es sont récurrentes, il est conseillé de plutôt fonder une vraie société, qui est un véhicule avec un vrai statut. 
 

Le compte d’exploitation prévisionnel, outil de gestion indispensable de la coédition 

 Comme évoqué par Robert Sillen, bien que facultatif, le compte prévisionnel d’exploitation est la condition sine qua non de toute coédition ayant l’ambition de réussir. Ce tableau de suivi des dépenses et des recettes est prévisionnel comme son nom l’indique, et non pas réel. Mais ce n’est pas parce qu’il n’est pas réel qu’il ne doit pas être réaliste pour autant. Un CEP (Compte d’Exploitation Prévisionnel) ne sera jamais une garantie de succès du projet. Mais ce compte prévisionnel est indispensable pour déterminer si le projet de coédition tient la route ou pas.
 
 Les indicateurs clés du CEP reprennent essentiellement le tirage prévu, les ventes estimées (déductions faites des stocks, des exemplaires gratuits et des retours), les prix de vente et prix de revient. Si les candidats partenaires ne tombent déjà pas d’accord ici, ceci signifie que la coédition n’a pas d’ambition partagée et il n’est pas conseillé de pousser les démarches plus loin.  
 
Les frais de gestion générale, évoqués plus haut, apparaissent aussi dans le CEP. Mais il est déconseillé de louer d’autres services, de distribution ou de promotion par exemple, à son-sa partenaire. D’une part, cela introduit un trop plein de complexité dans le contrat de coédition. D’autre part, cela va à l’encontre du principe même de la coédition, qui est d’aller justement chercher le point fort de quelqu’un d’autre en échange de son propre point fort. 
 
 Le compte d’exploitation prévisionnel est le facteur clé d’une coédition réussie. D’après Jean-Philippe Thivet d’ailleurs, mieux vaut un simple échange de mails faisant office de contrat de coédition mais avec un CEP joint, qu’un contrat en bonnes et dues formes mais sans CEP joint. Pour construire ce compte prévisionnel d’exploitation, on part de son ambition partagée, avec des indicateurs clés (nombre d’exemplaires vendus, par exemple). On croise cette ambition en la comparant avec des projets référents existants. Les ventes habituelles de projets similaires permettent de venir valider le caractère réaliste ou pas de notre ambition. On estime ensuite les coûts nécessaires pour y parvenir, grâce à des études ou des projets transverses. On place ensuite l’ensemble dans un tableur, commun aux coéditeurs-trices et évolutif pendant toute la phase d’élaboration du projet. Enfin, on est en mesure de comparer le prévisionnel à la cible (calcul du ROI, càd retour sur investissement) et de définir le périmètre retenu pour la coédition. C’est ce CEP complet et à jour qu’on joint au contrat de coédition. 
 
 Une fois le projet sur les rails, il est important de conserver une dynamique de comptabilité partagée, opérée en commun. Chaque dépense de la coédition connaît plusieurs temps : d’abord dépense prévisionnelle, elle est ensuite dépense engagée et enfin dépense réelle. Il est surtout très important de bien identifier qui est à l’origine de quelle dépense et quelle est la nature de cette dernière (l’imputation analytique). Quand les premières factures arrivent, on établit un tableau récapitulatif où on reprend la date de chaque document comptable avec sa référence, et surtout cette imputation analytique : s’agit-il d’une dépense de promotion, liée aux droits d’auteurs ou à la fabrication ? On utilise ici les mêmes terminologies que dans le CEP. On reprend aussi le montant de la facture, le-la coéditeur-trice qui la liquide et si la dépense sera ou non valorisé auprès d’un pouvoir subsidiant. Celui ou celle qui la liquidera sera généralement celui ou celle à la meilleure capacité de trésorerie.  
 
Enfin, dans la structure de la coédition, on choisit judicieusement les dates des relevés et closing comptables ; la date anniversaire du début d’exploitation est rarement choisie. On opte généralement pour le moment calendrier où l’entreprise a sa propre clôture, ce qui permet de limiter l’impact économique et fiscal sur les petites structures.  
 

Le mois prochain, le PILEn se penchera avec Jean-Philippe Thivet sur la coédition internationale. Cette formation est complète, mais le PILEn vous invite à vous inscrire à notre newsletter, vous abonner sur Twitter, LinkedIn ou nous suivre sur Facebook pour être tenu-e au courant des prochaines formations.