Fin mars et début avril, le PILEn vous propose d'en savoir plus sur les réseaux sociaux de lecteurs, tels que Babelio, Libfly, BdGest, etc. avec le 28 mars un Apéro du numérique "communautés de lecteurs et prescription à l'ère numérique" et le 4 avril une formation "réseaux sociaux de lecteurs : acteurs, stratégies, nouveaux usages et opportunités pour les professionnels du livre". Louis Wiart, qui prépare une thèse sur ces questions et interviendra lors de ces deux rendez-vous du PILEn, a accepté de consacrer un article aux opportunités de ces réseaux pour les professionnels.

En mars 2013, Amazon a racheté le réseau social littéraire Goodreads, court-circuitant au passage les négociations entamées par Apple avec la firme basée à San Francisco. A peu près au même moment, mais à l’échelle de la francophonie, Chapitre a lancé sa propre plateforme, Bookinity, tandis que les librairies Bd Fugue ont fait l’acquisition quelques mois plus tard du site BD Maniac. Ces trois évènements, intervenus dans la période récente, soulignent l’intérêt que les professionnels du livre portent aux prescriptions émises par les internautes.

Car les réseaux sociaux de lecteurs, qui proposent à des communautés d’internautes un ensemble d’outils de critique, de catalogage, d’interaction, de découverte et d’information sur les livres et la lecture, contribuent à inscrire les œuvres littéraires dans l’espace public, à leur donner une visibilité en ligne. Ce faisant, ils ouvrent un horizon d’opportunités aux professionnels du secteur, liées aux possibilités de faire connaître leurs livres ou leurs activités, mais aussi aux occasions qu’ils offrent de se rapprocher de leurs publics et de développer des formes de médiation numérique. 

Le contexte d’une floraison

Dans le monde francophone, Zazieweb, L’agora des livres, Critiques Libres, BdGest et Coin BD ont longtemps fait figure de précurseurs. Dans leur sillage, beaucoup d’initiatives ont été lancées à partir du milieu des années 2000 : Babelio, Booknode, MyBoox, Libfly, Lecture Academy, A blog ouvert, Entrée Livre, Bookinity, Sens Critique, Lecteurs, Livraddict, et de nombreux autres sites web déclinent le même genre de dispositif avec plus ou moins de succès, plus ou moins d’originalité. Une quantité remarquable d’acteurs, issus d’horizons divers, se sont ainsi positionnés sur un marché où s’exerce désormais une très forte concurrence.

La floraison de réseaux sociaux de lecteurs depuis une demi-douzaine d’années n’est pas sans rapport avec les évolutions qui traversent actuellement le secteur de la communication. Deux tendances fortes peuvent être repérées :

- d’une part, la montée en puissance de médias dits « sociaux » (blogs, microblogs, wikis, communautés de partage, réseaux sociaux, mondes virtuels, etc.) dont le principe est d’associer les internautes à la production des contenus qui y circulent, de les inscrire dans une logique participative. Le succès de plateformes comme Facebook, Twitter, Wikipédia, Delicious, MySpace, Tumblr, Youtube, LinkedIn, Flickr, ainsi que leurs déclinaisons multiples et variées, leur a permis d’investir le champ du marketing, de la publicité, de la politique et des affaires, tout en participant à la diffusion massive d’outils de partage et d’échange et en valorisant la dimension relationnelle du web.

- d’autre part, les développements dont le numérique fait l’objet dans l’industrie du livre affectent tous les stades du processus éditorial, de la conception des ouvrages à leur lecture, en passant par les modes de commercialisation et de promotion. Si certaines innovations technologiques relèvent encore du domaine de l’observation et de l’expérimentation, l’utilisation d’Internet comme lieu de commercialisation, d’information et de conversation sur les livres n’est plus à démontrer. 

Situés à l’intersection de ces dynamiques, les réseaux sociaux de lecteurs sont à la fois liés à l’industrie du livre par les biens culturels qu’ils valorisent, et à l’univers du web par les formes médiatiques sur lesquelles ils s’appuient.

L’impact sur la prescription de livres 

L’intérêt des réseaux sociaux de lecteurs tient, pour une large part, à leur dimension prescriptive. En fournissant un ensemble d’informations sur les auteurs et les livres, ces sites web apportent des éléments de connaissance et agrègent des jugements susceptibles d’orienter les choix de lecture des internautes qui s’y connectent. Dans un contexte où l’offre de livres disponibles est extrêmement abondante et toujours croissante, de tels outils permettent aux internautes de se repérer et de faire le tri, mais aussi de bénéficier d’un certain niveau de personnalisation des informations, à travers des systèmes de contacts (amis, éclaireurs, followers, etc.), des indices d’affinité entre membres, ou encore des moteurs de recommandation qui suggèrent des idées de lecture à partir de l’identification des préférences littéraires.

Sur les réseaux sociaux de lecteurs, les internautes disposent d’une capacité de prescription jusque-là dévolue aux experts et contribuent, en produisant un discours sur leurs propres lectures, à alimenter un bouche-à-oreille numérique. En tant que relais de communication, ils diffusent autour d’eux des informations sur les livres, les font connaître à leurs cercles de connaissances, leur assurent une existence en ligne. L’accès à une certaine forme de visibilité en dehors des filtres médiatiques traditionnels devient possible, ainsi que le développement de phénomènes de diffusion virale, de propagation de l’information de proche en proche.

Des leviers opérationnels

Pour les auteurs, les maisons d’édition, les librairies ou les bibliothèques, les réseaux sociaux de lecteurs peuvent constituer des instruments de communication privilégiés. Chacun de ces acteurs est susceptible d’y organiser une présence en ligne et de les intégrer dans sa stratégie de promotion et de médiation.

Certains professionnels du livre disposent de leur propre réseau. C’est le cas de maisons d’édition (Hachette, Pocket Jeunesse, Michel Lafon, Rageot), de chaînes de librairies (Decitre, Chapitre, BdFugue) ou encore d’entreprises qui investissent le marché du livre par les nouvelles technologies (Orange, Kobo, Archimed). Les réseaux sociaux de lecteurs représentent alors le plus souvent des supports d’activités complémentaires, qui viennent soutenir et valoriser leurs activités commerciales principales.

Quand on ne possède pas son propre réseau, ce qui correspond bien entendu à l’immense majorité des professionnels du secteur, différents leviers opérationnels restent toutefois disponibles :

- dans une perspective publicitaire, les professionnels souhaitant communiquer autour de leurs activités peuvent recourir à des annonces graphiques au niveau de sophistication plus ou moins élevé (bannières, pavés, interstitiels, habillage du site, médias interactifs). De plus, des dispositifs intégrés à la communauté sont souvent proposés, comme l’envoi de services presse à des internautes contre la rédaction d’une critique, des notifications adressées à des membres en fonction de leurs préférences littéraires, ou encore la mise en place de formes de promotion ludiques (concours, jeux) ou évènementielles (jurys de lecteurs, prix littéraires, séances de tchat, interviews d’auteur). Chaque fois, l’avantage est de toucher une audience ciblée, dont les centres d’intérêt – le livre et la lecture – sont clairement identifiés. Il s’agit aussi de s’appuyer sur un certain degré d’interactivité avec les lecteurs et d’arriver à diffuser l’information grâce au bouche-à-oreille numérique, tout en lui conférant une connotation positive liée à la crédibilité des prescripteurs, les internautes ayant tendance à accorder davantage de confiance aux recommandations émises par leurs semblables qu’aux publicités traditionnelles.

- plus simplement, il est toujours possible pour un professionnel d’endosser une identité numérique sur un réseau, c’est-à-dire d’y organiser une présence en créant une page de profil à son propre nom ou à celui de sa structure. Après quoi, il convient de l’alimenter et de la faire vivre (description, photos, vidéos, liens renvoyant vers son site, contacts, etc.), mais aussi de l’utiliser comme un point d’entrée vers l’offre qu’il propose et d’entretenir une communication de proximité avec son public.

- des bibliothèques ou des librairies en ligne peuvent également souscrire auprès de certains sites web à une offre d’enrichissement de leurs catalogues informatisés avec des fonctionnalités et des contenus produits sur les réseaux. L’idée est de rendre leurs plateformes plus attractives, de perfectionner leurs outils de médiation numérique. Par ailleurs, d’importantes librairies (Decitre, Amazon, Fnac, BdFugue, Mollat, Furet du Nord, etc.) bénéficient de partenariats ou de systèmes d’affiliation qui leur permettent de rediriger les internautes vers leur offre commerciale.

A l’arrivée, l’aperçu des différentes facettes de la promotion et de la médiation sur les réseaux sociaux de lecteurs laisse entrevoir des modes d’intervention possibles pour les professionnels. Le plus souvent, ces outils servent à compléter un plan de communication qui se déploie également sur d’autres médias sociaux. S’il est parfois difficile d’en évaluer précisément les retombées, l’idée reste toujours la même : aller chercher les lecteurs là où ils se trouvent, c’est-à-dire sur Internet, au cœur de réseaux sociaux numériques.

Louis Wiart