Le 30 avril dernier, le PILEn a eu l’occasion de participer à la journée Plan Lecture organisée par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Parmi une quinzaine d’ateliers proposés, nous avons décidé de revenir sur celui qui s’est questionné sur la lecture chez les adolescents. Christelle Gombert, rédactrice en chef de la revue Lecture Jeune, a animé cet atelier.
Comment donner envie de lire aux adolescents ? C’est LA question pour beaucoup de professionnels du livre. Mais pour savoir comment, il faut d’abord se rappeler pourquoi : Pourquoi lit-on ? A cette question, les acteurs de la chaine du livre présents ont avancé l’envie d’ailleurs, d’explorer l’inconnu. Mais aussi l’envie de partage, de se connecter aux autres. La lecture jouerait également un rôle pour se développer en tant que citoyen, ou dans le développement des compétences neurologiques. Si tout cela est vrai, il s’agit de points de vue d’adultes, qui n’ont pas le même rapport à la lecture ; dans la lecture, les adolescents rechercheraient avant tout la dimension émotionnelle de l’écrit (le suspense, par exemple).
D’après une étude du Centre National du Livre en France, 77 % des jeunes aimeraient lire dans le cadre de leurs loisirs. Ce chiffre est de 89 % en primaire, contre 68 % à la fin du secondaire. Seuls 4 % des jeunes détesteraient lire (0 % en primaire, 7 % en fin du secondaire). On note donc que la lecture semble, avec l’âge, perdre de son intérêt pour les jeunes. Mais comment contrer cette tendance lourde ?
Si on veut intéresser le public jeune à la lecture, il s’agirait de commencer par se demander ce qui intéresse tout court le public jeune. Ainsi, il ne s’agirait pas d’arriver avec un livre qui serait déconnecté des centres d’intérêt des adolescents, mais de commencer par cerner ces centres d’intérêts avant de proposer un livre connecté à ces centres d’intérêts : les films, les séries, les jeux vidéo, le sport et les chroniqueurs YouTube constitueraient autant de bases solides pour y raccrocher l’outil livre.
Les communautés, leviers pour le monde du livre
Depuis longtemps, les bestsellers de la littérature jeunesse structurent le secteur de la chaine du livre, des auteurs aux distributeurs. Ainsi, quand le premier Harry Potter est sorti à la fin des années 1990, c’est tout le pan fantasy qui s’est développé d’une manière phénoménale, accentué par l’adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux au début des années 2000. Même logique avec la parution d’Hunger Games à la fin des années 2000, qui a vu exploser la thématique dystopies : Divergente, Labyrinthe, etc. On a également eu droit au phénomène 50 Nuances de Grey ; ce qui est à la base une fan fiction Twilight a depuis été déclinée, notamment dans une version plus adaptée au public adolescent (Before After d’Anna Todd. Là encore une fan fiction, ici à la base inspirée de l’univers One Direction). Plus récemment, le monde du livre jeunesse a aussi été porté par ce qu’on nomme la Sick Litt, c’est à dire des histoires romantiques sur fond de maladie pour le héros.
La prochaine tendance pourrait très bien se dessiner autour de la thématique de la peur. En attendant, les éditeurs de livre semblent vouloir miser sur les communautés bâties autour de jeux vidéo, de séries TV ou d’influenceurs Instagram ou YouTube ; on observe que le marché du livre tend de plus en plus à s’ancrer dans la culture transmédia, en sélectionnant les succès Internet d’aujourd’hui pour en faire les succès librairie de demain.
Pour minimiser les risques commerciaux, des plateformes comme WattPad sont apparues ; il est possible d’y publier des textes et d’avoir des retours de lecteurs en direct. Si la publication fonctionne, elle sera probablement déclinée en livre classique. D’autres plateformes, comme 404 Factory, Fyctia ou Bukku existent en parallèle. Pour saisir les tendances à l’œuvre auprès du public adolescent, ces outils semblent idéaux : sur certaines de ces plateformes, 90 pourcents des lecteurs y ont moins de 30 ans.
Le livre, une expérience sociale totale
Pour reprendre la formule de Daniel Pennac, il s’agit de d’abord trancher si, en tant que professionnels du livre, nous souhaitons être des gardiens ou des passeurs. Si nous souhaitons, en gardiens, transmettre un patrimoine que nous aurions sélectionné soigneusement, avec une certaine hiérarchie entre les livres (les classiques étant dans cette optique plus respectables que la Sick Litt, par exemple). Ou si nous souhaitons, en passeurs, avant tout que les jeunes lisent. Dans ce second modèle, rien n’est confisqué par des censeurs du bon gout, rien n’est jugé, tout est fait pour rapprocher les jeunes de la lecture. Il parait évident que la seconde approche est la plus sensée. En tant que libraire ou bibliothécaire, il est également important de proposer des lectures intermédiaires aux lecteurs débutants ; l’acte de lecture doit pouvoir s’apprivoiser.
Pour favoriser la lecture chez les adolescents, il convient aussi de valoriser la valeur sociale du livre. Ceci est facilité avec des plateformes comme WattPad, DraftQuest, ou Scribay, où l’échange et le partage sont au centre de la création littéraire. Pour les livres déjà existants, la dimension sociale peut aussi être valorisée : du choix du livre, avec un libraire ou les membres de la communauté, à la discussion post-lecture, lire peut constituer une expérience sociale totale, à un âge où les interactions sont justement primordiales. Dans ce cadre, ne sous-estimons pas non plus l’impact positif sur le rapport du jeune au livre que peut avoir un adulte qui demande un conseil lecture à un adolescent.
Mais le plus important, de l’auteur au libraire / bibliothécaire, semble donc être de partir des centres d’intérêt et des tendances dans la jeunesse, et de les suivre pour proposer une lecture connectée à ses préoccupations.