Dans le cadre du chantier « Contrat de filière », le PILEn a rencontré Delphine Henry. D’abord coordinatrice et chargée de mission « Vie littéraire et développement des publics » chez Interbibly, puis déléguée générale de la Fédération interrégionale du livre et de la lecture (FILL) depuis 2018, ses différentes expériences professionnelles lui ont permis de développer une vision à la fois globale et intersectorielle. Elle nous parle aujourd’hui d’une série d’enquêtes de la FILL : les métiers du livre face à la crise sanitaire.
Interbibly est une structure régionale pour le Livre – ou SRL – c’est-à-dire une structure installée dans une région, ayant pour vocation de créer une dynamique à l’échelle de l’interprofession du livre. « Ces SRL sont présentes dans presque toutes les régions : certaines sont des associations, d’autres des Établissements Publics de Coopération Culturelle (EPCC). Elles ont pour mission d’informer les professionnels du livre, de les former, de recueillir des informations sur leurs pratiques à un niveau régional, de les accompagner vers des soutiens financiers et valoriser les acteurs du livre du territoire. Ainsi, elles renforcent les politiques publiques du livre en région. » Les SRL adhèrent la plupart du temps à la FILL, tout comme des services du livre de conseils régionaux et des établissements publics tels que la Bibliothèque publique d'information et la Bibliothèque nationale de France (deux établissements qui dynamisent la coopération en région à l'échelle des bibliothèques).
La FILL, quant à elle, se trouve en intersection, au centre du partage d’expérience des structures régionales, en tant qu’observateur de la filière du livre et des spécificités de chaque acteur régional. « Elle rassemble et partage un outillage commun pour accompagner les acteurs, détermine où il est nécessaire de renforcer une expertise et de dialoguer avec les institutions nationales et organisations professionnelles. La FILL est donc au service d’un réseau et a pour but de dynamiser l’accompagnement par le ‘faire ensemble’. »
Les SRL comme Interbibly et la FILL se concentrent toutes sur l’interprofession. « C’est très important de revendiquer cette interdépendance des acteurs. Les SRL facilitent les compréhensions mutuelles et renforcent les coopérations interprofessionnelles, tandis que la FILL crée un espace de valorisation, d’observation et de mutualisation d’expertises, d’expérience et d’outils. »
En décembre 2020, la FILL a sorti une enquête intitulée « Le livre face à la pandémie – Chronique d’une crise dans neuf régions françaises » (Acte I). En quoi consiste cette étude et quels en étaient le but et l’impact souhaités sur le secteur et les politiques du livre ?
Cette initiative a été prise dans le feu du premier confinement : nous étions tous dans un état de sidération qui a été l’élément fondateur de notre démarche. Face à cette situation inédite, il y avait besoin d’un espace collectif, que la FILL a voulu offrir à nos adhérents. L’idée d’observer ensemble les effets de la crise a vite émergé. On s’est inspiré d’une initiative de Mobilis, SRL des Pays de la Loire et adhérent de la FILL, qui avait proposé un questionnaire d’enquête aux acteurs du livre. La FILL a proposé de se saisir collectivement de ce questionnaire afin de réaliser une synthèse à l’échelle interrégionale et montrer les conséquences de la crise sur les acteurs des territoires. Neuf régions ont participé, soit en s’emparant de ce questionnaire commun, soit en menant leur propre questionnaire. On parle davantage d’une observation partagée que d’une étude car il n’y a pas énormément de chiffres : on se concentre plutôt sur un rendu sensible où on valorise la parole des acteurs et leur ressenti face à la crise. Nous avons pour ambition de restituer cette réalité sensible proche du terrain, et pas uniquement parisienne, déjà très traitée par les médias. Nous proposons une vision plus décentralisée afin de restituer les vécus de tous les acteurs de la chaîne du livre. Il s’agissait alors de montrer les effets de cascade d’un chaînon de cette chaîne à un autre : on s’est notamment attardé sur les conséquences de l’arrêt des manifestations littéraires sur l’ensemble de la chaîne du livre. Le but était donc de partager ces observations aux institutions et aux élus, aux décideurs à même d’inventer des dispositifs de soutien pour accompagner les périodes de transition, puis aux organisations professionnelles. L’accueil a été positif, la Société des gens de lettres (SGDL) a par exemple apprécié que nos observations viennent étayer ses propres constatations sur la précarité des auteurs. Globalement, nous avons eu le sentiment de nous situer collectivement là où personne ne s’était encore placé, avec l’envie de documenter la situation pour – on l’espère – pouvoir préparer la suite.
Cet acte I est le premier volet d’une vaste étude. À la suite de cette première enquête, y a-t-il eu un changement d’objectifs ? Comment l’enquête va-t-elle évoluer dans le temps ?
La première livraison se focalisait en effet sur les conséquences de la crise sur l’année 2020, une sorte de regard dans le rétroviseur, un point de départ qui pourra servir de socle à des questionnements et des observations futures. Nous sommes actuellement en train de travailler sur un second acte, dont la publication est prévue fin juin. La donne sera différente : toutes les régions ne se sont pas lancées dans de nouvelles enquêtes, peu l’ont fait. Il n’est pas évident de repartir sur des questionnaires de masse lorsque les acteurs ont déjà beaucoup été sollicités. À nouveau, nous gardons le prisme interprofessionnel et interrégional, en valorisant les paroles des acteurs. Nous allons aussi valoriser des initiatives singulières via des portraits, ainsi que des enquêtes. Après l’acte II, nous verrons si le besoin de continuer se fait sentir en fonction de l’évolution du paysage et de la pandémie, mais aussi des aides et dispositifs de soutien, la réalité des chiffres et des ventes, la dynamique de la filière, de résilience. Nous envisagerions cet acte 3 dans une visée plus prospective, c’est-à-dire en voyant si des équilibres sont en train de basculer."
Il y a eu d’autres évolutions depuis l’acte I. Tout comme les librairies, les bibliothèques sont aussi ouvertes. En revanche, les manifestations littéraires n’ont toujours pas lieu en présentiel pour la très grande majorité d'entre elles. Elles sont passées au numérique, une réalité très différente qui ne permet pas de ventes d'ouvrages. Il y a donc parfois des constantes dans le temps. Néanmoins, nous verrons sans doute les effets du maintien de l’ouverture des librairies grâce à l’engouement des Français qui sont y retournés en masse cet hiver et ont permis d’avoir des chiffres globalement favorables. Il faudra aussi être attentif au détail des ventes : nous savons que les bestsellers se sont bien vendus et nous constaterons aussi l’impact sur – entre autres – l’édition indépendante. Nous ouvrons donc grand nos filets, sans préjuger sur ce qui remontera dans le cadre de cette observation, même si la presse a beaucoup traité la situation de la filière du livre.
Nous savons que les Contrats de filière sont spécifiques à chaque région. Ils seront d’ailleurs renégociés dans les années à venir. Selon vous, quel impact le Covid aura-t-il ?
Il faut préciser que la FILL ne travaille pas sur ces conventions territoriales, elle prend connaissance de leur contenu mais les négociations ont lieu entre les Régions, les DRAC et le CNL. Quoi qu’il en soit, pour l’instant, il est trop tôt pour savoir ce que contiendront les futurs Contrats de filière et quel impact aura la pandémie en la matière. Cette année, la plupart d’entre eux prolongent leur précédent triennat par voie d’avenant : les axes de travail restent identiques. Et la pandémie n’est pas terminée. En outre, le CNL a souhaité questionner ce dispositif de conventionnement, mais n’a pas encore livré ses conclusions. Dans le cadre de la crise, des dispositifs spécifiques ont été mis en place, portés par les Régions et par l’État via le CNL et les DRAC. Pour autant, les Contrats ont joué un rôle important dans l’urgence, en 2020, pour aider et parer au plus pressé à un moment où les dispositifs d’urgence n’avaient pas tous été activés.