Dans le cadre du chantier « Contrat de filière », le PILEn a rencontré Stéphanie Meissonnier, passée par la FILL et le CNL et à la tête de Bibliocité depuis janvier 2021. Elle porte un regard éclairé sur les politiques du livre en région, les origines du Contrat de filière, ainsi que ses enjeux et évolutions depuis 2015. Un échange qui montre aussi l’importance de l’interprofession.
Directrice de Bibliocité depuis janvier 2021, Stéphanie Meissonnier a été successivement déléguée générale de la FILL (Fédération interrégionale du livre et de la lecture) pendant douze ans, puis responsable du pôle Bibliothèques et Action territoriale du département de la Diffusion au CNL (Centre national du livre) durant quatre ans. « Tour à tour, j’ai travaillé à la FILL où j'ai accompagné les agences et les régions afin de développer et affuter leurs politiques de soutien aux acteurs du livre, puis je me suis retrouvée à participer à la construction de la politique publique du livre et de la lecture, du côté de l’État. » En effet, le CNL est un établissement public national qui dépend du ministère de la Culture. Au sein de Bibliocité, il lui est désormais possible de diriger une structure qui propose chaque année plus de 2 000 actions culturelles, et ainsi retrouver le lien direct avec les acteurs et actrices de la chaîne du livre. « Cela me permet de boucler la boucle dans mes expériences en lien avec l'interprofession du livre. »
Pensez-vous que les secteurs du livre et de la lecture gagneraient à travailler davantage ensemble ? Dans quelle mesure une politique commune pour la filière pourrait-elle renforcer cette collaboration ?
Quand je travaillais à la FILL et au CNL, c’était en effet mon objectif, je pense que cet ensemble d'acteurs a tout intérêt à travailler ensemble. C'est un cercle vertueux : quand l'auteur est bien payé ; quand l'éditeur travaille bien avec son auteur, respecte son libraire et son économie ; quand le libraire s'insère lui-même dans le travail qui est mené avec le réseau de lecture publique, qu’il est présent dans la manifestation littéraire ; que le livre est payé au juste prix et que chaque acteur est justement rémunéré, on a alors un lecteur heureux, une chaîne du livre qui fonctionne et des partenaires respectés. L'interprofession doit donc être renforcée. Plus les acteurs se connaissent, plus ils connaissent les problématiques économiques de chacun, et mieux les choses se construisent ensemble pour sécuriser une interprofession fragile. C’était le cas en 2015, puis l'interprofession s'est à nouveau distanciée l’année suivante suite à des baisses de financement dans les collectivités pour les acquisitions de livres : les métiers se regardaient à nouveau en chiens de faïence. Avec la crise, il y a eu une aide conséquente aux libraires qui n'a pas forcément été comprise par les autres acteurs de la chaîne. Tous ces moments particuliers peuvent fragiliser la bonne compréhension du métier de chacun : il faut donc se remettre à l’ouvrage et toujours expliquer comment et pourquoi chaque acteur est important.
La genèse du Contrat de filière est assez difficile à tracer. La première signature d’un tel document semble remonter à 2014, lorsque Fleur Pellerin, ministre de la Culture et de la Communication, Alain Rousset, président du conseil régional d'Aquitaine et Vincent Monadé, président du CNL cosignent, le 25 novembre, un contrat de filière du livre 2015-2017, prévoyant des aides ciblées pour les éditeurs et les libraires.
Il ne faut pas confondre les Contrats de filière et les conventions territoriales du CNL. On mentionne un protocole, datant de 2003, qui a été signé par l’État et non le CNL, via la Direction régionale des actions culturelles d’Aquitaine et la région Aquitaine. La région avait mis en place un protocole d’accompagnement des librairies et cela rentrait dans le cadre des contrats entre l’État et la région qui traitaient l’ensemble de l’économie territoriale. Ces deux acteurs ont conjointement acté une grande politique qui inclurait le monde du livre, notamment les librairies, puis les maisons d’édition quelques années plus tard. Des politiques similaires se sont développées en Rhône-Alpes. Ces deux régions ont donc réussi à concorder une politique d’État avec une politique régionale. À l’époque, d’autres régions, comme la Franche-Comté et le Limousin, avaient déjà une politique d’accompagnement des librairies, partagée entre l’État et les régions.
C’est en Limousin que le nom de « Contrat de filière » apparaît pour la première fois en tant que tel. Cela a été pensé comme un contrat de filière concernant les libraires et éditeurs, malgré une bataille pour intégrer les auteurs. Il ne s’agissait plus là d’un budget culturel, insuffisant pour accompagner le développement de la filière. Un champ large de dispositifs financiers pouvait concerner la filière : l’idée était de chercher des moyens économiques, culturels et de formation. Des tentatives de Contrat de filière se sont succédées au Languedoc-Roussillon ou en Provençal-Côte-d’Azur, sans succès.
En 2012, suite à la journée organisée par la FILL avec le ministère de la Culture et son service du Livre et de la Lecture, les questionnements refont surface. Le ministère a la volonté d’aider le développement du Contrat de filière, en associant la DRAC (Direction Régionale Affaires Culturelle) et les agences régionales du livre aux nouvelles conventions. Des régions se portent volontaires. Officiellement, le premier Contrat de filière est signé entre la région Aquitaine, la DRAC et le CNL, qui a formalisé une convention réunissant les auteurs, les éditeurs et les libraires. Le Centre Val de Loire lui emboîte le pas alors qu’il n’avait auparavant aucune aide à la librairie. Vincent Monadé, alors président du CNL, avait initialement la volonté d’aider la filière du livre dans son ensemble en 2014. Le conseil d’administration du CNL a souhaité concentrer le soutien à la librairie en priorité.
La loi NOTRe1 de 2015 a-t-elle été un accélérateur pour le Contrat de filière ? Qu’a permis le regroupement des régions en France au niveau des aides publiques ? Un modèle « décentralisé » a-t-il pu réellement émerger ?
La Loi NOTRe a pu arrêter des choses en cours, ou au contraire en renforcer d'autres qui étaient mûres. Certaines régions qui ont pris le leadership de la politique étaient engagées dans leur contrat territorial avec le CNL et ont pu garder leur politique pour les nouvelles régions fusionnées. Les régions ont pris presque 3 ans pour réorganiser leur façon de travailler dans un nouveau périmètre. Par exemple, la région Aquitaine est devenue la région Nouvelle Aquitaine (rassemblant l'Aquitaine, le Limousin, le Poitou-Charentes). Ces deux premières avaient un Contrat de filière, toutes deux avaient signé des contrats avec le CNL, contrairement au Poitou-Charentes qui n’a alors pas eu d’aides les premières années. D’autres régions comme les Hauts-de-France avaient signé des conventions avec le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie qui n’ont pas été renouvelées après leur fusion. La région Grand Est, quant à elle, a tiré des bénéfices de sa restructuration et a signé un cycle de conventions avec la DRAC et le CNL.
Les cas sont tous très variés selon les régions et leur histoire. En France, la décentralisation permet la mise en œuvre de politiques différenciées selon les régions. Avant la loi NOTRe, il s’agissait d’une politique d'égalité de traitement sur l'ensemble des territoires ; peu à peu, nous passons maintenant à une politique d’équité territoriale adaptée aux particularités de chaque territoire.
Comme évoqué précédemment, la FILL organise en 2012 une des premières rencontres professionnelles dans le monde du livre francophone sur l’idée d’un contrat de filière. Vous étiez alors déléguée générale de cette institution. Dans ses réflexions sur la définition du mot « filière » qui introduisent la journée, François Rouet aborde le fait que la chaîne du livre comprend des acteurs issus du secteur marchand et non marchand, liés ensemble par leur appartenance au territoire et leur attachement au livre. Pourtant, au final, les mesures des Contrats de filière depuis 2014 ne s’inscrivent pas dans cette idée de filière, puisqu’elles ne bénéficient qu’aux métiers « à dimension commerciale ». La lecture publique aurait-elle sa place dans une convention-cadre de ce type ? Pourquoi était-il important que des Contrats Territoire Lecture (CTL) soient signés indépendamment du Contrat de filière ?
C'est une spécificité française. C'est pour cela que nous n'avons pas réussi à rattacher ces deux types de contrats. Elle tient simplement du fait que la politique de la lecture publique est portée par d’autres niveaux de collectivités territoriales, à savoir les villes et les départements. L'État contractualise donc avec eux sous la forme de CTL. Ceci est le fruit de la décentralisation.
Les régions – les partenaires des Contrats de filière – n'ont pas vocation à financer le réseau de lecture publique, bien qu’elles puissent accompagner les professionnels via leurs agences régionales pour le livre par exemple. Ce travail est donc principalement mené par la DRAC, qui représente le ministère de la Culture, et par les collectivités, villes, agglomérations ou départements.
D’expérience, un partenariat avec trois acteurs est déjà complexe à mettre en œuvre, il paraît donc difficile d’élargir celui-ci à de nouveaux acteurs, malgré l’intérêt que l’on peut y trouver à rattacher la lecture publique au secteur de la création et de l’économie du livre. Signer ensemble doit permettre de partager les mêmes objectifs. Or, les politiques portées par les différents acteurs ne sont logiquement pas les mêmes et l’entente dans la signature de conventions prend beaucoup de temps et doit faire l’objet d’un dialogue permanent.
Évidemment, l’idéal à atteindre serait de réussir à réunir un maximum d’acteurs de la chaîne du livre afin d’avoir une meilleure compréhension des enjeux de chacun et un accompagnement à « guichet unique ». Mais ceci est structurellement compliqué et il faudrait revoir l'ensemble de l'organisation institutionnelle pour rendre cela réalisable.
Les agences régionales ont été mandatées pour animer les Contrats de filière en France. Ces organismes prennent des formes différentes et se chargent de missions également diverses en fonction de la région concernée. Certains d’entre eux sont d’ailleurs intersectoriels, comme en Nouvelle Aquitaine avec l’ALCA qui s’occupe du livre, du cinéma et de l’audiovisuel. Est-ce que cela transparaît dans les Contrats de filière ? Est-ce une force ou une faiblesse d’avoir une organisation qui chapeaute ainsi plusieurs secteurs ? Quelles collaborations cela rend-il possibles, notamment en matière d’innovation ?
Les agences peuvent en effet être associées, mais ce n'est pas une obligation et ce n'est pas le choix que font toutes les collectivités. Certaines agences vont réaliser l'instruction des dossiers, d'autres seront sollicités comme experts apportant un avis lors des comités de sélection qui décident des aides. Le choix se fait au cas par cas. Certaines régions n'ont pas souhaité associer leur agence en estimant qu'elle n'avait pas la compétence ou l'expertise. De plus, il n'en existe pas dans toutes les régions, comme dans la région Grand Est. Les agences régionales réalisant l’instruction des dossiers pour le compte des signataires sont par exemple l’ALCA en Nouvelle Aquitaine ou encore Normandie Livre & Lecture et l’ARAL (anciennement ARALD) en Auvergne-Rhône-Alpes qui reçoivent et instruisent les dossiers pour le compte de la région, de la DRAC et du CNL.
Les financeurs décident ensuite de l’accompagnement, ou pas. Des agences multisectorielles comme l’ALCA ou Ciclic dans la région Centre-Val de Loire traitent du livre, mais aussi de cinéma et d'audiovisuel. Est-ce que cela influe ? Étonnamment, pas à ma connaissance. Les choses sont très cloisonnées, il y a des contrats signés avec le Centre national du cinéma d'autre part. Cela fonctionne particulièrement dans la région Grand Est, alors que la région porte le projet sans agence en faisant le lien entre l’innovation et l’industrie culturelle comme le cinéma. La région est alors sortie du champ strict du livre pour se concentrer sur les spécificités de son territoire.
Les Contrats de filière ont pour visée une structuration de la chaîne du livre et une harmonisation des différents soutiens pour les professionnels. Cela implique-t-il que les dossiers à rendre soient aujourd’hui plus clairs et directs qu’auparavant ?
Oui et non. Est-ce que les dossiers sont plus clairs ? Dans le cadre des dispositifs portés par ces conventions, effectivement, il n'y a plus qu'un dossier pour les trois partenaires. Encore faut-il arriver au bon endroit : pour le CNL, il existe une aide nationale et une aide régionale. L'agence orientera le professionnel en fonction de son projet vers le CNL, la région, etc. Si vous avez repéré le Contrat de filière et que les aides que vous souhaitez mobiliser sont dedans, c'est plus facile. Mais ça n'exonère pas le besoin d'un médiateur qui vous accompagne pour déposer votre dossier au bon endroit et vous indiquer si la demande n'est pas adaptée au Contrat de filière. On en revient au guichet unique : c'est un objectif que les signataires doivent se donner malgré une volonté de se démarquer entre partenaires financeurs.
Est-ce que ce nouveau type de conventionnement a réduit le nombre d’interlocuteurs auxquels sont confrontés les professionnels ?
Quand tout est bien organisé et que l'agence régionale est bien identifiée par les partenaires, oui. L'interlocuteur principal sera l'agence régionale en tant que ressource et relais. Le libraire va passer par ce médiateur qui va l'aiguiller. Mais le confinement complique les choses. Hors Covid, cela a permis d’identifier une porte d’entrée plus claire et un accès vers des dispositifs à mobiliser. Mine de rien, les premiers Contrats de filière datent d’il y a 6 ans, les choses s'installent et les professionnels ont pris des réflexes.
(1) Loi « nouvelle organisation territoriale de la République » du 7 aout 2015 qui a abouti à la fusion des régions françaises.