C’est en substance le message que Nicolas Javaux, Laure Lemahieu et Catherine Victor, représentant la librairie Pax à Liège, tenaient à faire passer à Fadila Lanaan, Ministre de la Culture, de l’Audiovisuel, de la Santé et de l’Egalité des Chances, à l’occasion de la Sant Jordi, patron des libraires et des lecteurs.




Dans une lettre ouverte parue le 27 avril dernier dans La Libre Belgique, les trois libraires liégeois mettent en avant la précarité des librairies belges indépendantes qu’ils n’hésitent pas à comparer à des « lucioles qui disparaissent en silence ». La cause de cette précarité ? Un combat déjà inégal avec les « ogres du commerce en ligne », les « mammouths de l’hyperconsommation » qui profitent du dumping fiscal, renforcé en Belgique par un système déséquilibré. En effet, contrairement à la France, il n’y existe pas de loi sur le prix unique du livre, qui garantirait « la survie de tous les libraires, un réseau dense et riche, pluriel, pour satisfaire tous les goûts des lecteurs : du plus banal au plus expérimental, il y [aurait] de la place pour tout le monde ».

Pire encore, la pratique de la « tabelle » perdure. Créée dans les années 1970 pour compenser le coût de conversion entre francs français et francs belges sur le prix des livres, elle consiste, pour le distributeur, à majorer de 10% à 15% le prix public français d’un livre français lors de sa facturation au libraire belge. Malgré son abolition légale en 1987 et la création de l’euro en 2002, elle est toujours d’usage sous l’appellation de "mark-up". Le Conseil du Livre avait d’ailleurs remis au Ministre de la Culture plusieurs avis (n°31, mai 2002 et n°39, octobre 2009) allant dans le sens d’une suppression de la tabelle et d’une harmonisation du prix du livre entre la France et la Belgique. Un appel avait également été lancé dans Le Soir du 5 mars 2008 par un collectif d'écrivains.

Si la création d’un label « librairie de qualité », né en octobre 2007 à l’initiative de Fadila Lanaan, a permis d'établir une distinction entre le marchand de journaux et le libraire, les termes étant en effet galvaudés, son efficacité reste à prouver compte-tenu du manque de moyens alloués.

Nicolas Javaux, Laure Lemahieu et Catherine Victor demandent donc des « mesures concrètes et immédiates » : une loi sur le prix unique du livre, la suppression de la tabelle et la mise en place de critères de qualité et de proximité pour les adjudications de marchés publics. Plus que jamais, une politique globale du livre et de l’édition numérique associant FWB, provinces et régions s’avère nécessaire et urgente.

Alors que s’accélèrent des mutations techniques, professionnelles et commerciales de grande ampleur qui bouleversent toute la chaîne du livre, cette lettre témoigne en creux du malaise ressenti par une grande partie de la profession. Qu’est-ce qu’un libraire aujourd’hui en effet ? Quelle est sa « valeur ajoutée » -pour reprendre un terme très à la mode- ? Les auteurs font l'éloge bien mérité du libraire, cette « modeste sentinelle au service des livres », en rappelant et son expertise et son rôle de lien social mais tombent parfois dans la caricature, en opposant deux univers, un monde physique, qui sent le papier et la colle, dont le garant serait le libraire, à un monde immatériel et déshumanisé, dans lequel « un obscur algorithme» dicterait sa loi, et qui bourdonnerait de « poke » et de « j’aime » lancés à tort et à travers.

Malgré les grandes difficultés rencontrées par les libraires, cette bipolarité n'a pas lieu d'être, et nombre d’initiatives sont actuellement mises en place comme le montre un récent article de Télérama. Les libraires interviewés tiennent en effet à « préserver [leur] image de passeur, de défenseur de l'écrit, de présence au cœur de la cité, du village, du quartier » mais veulent s'adresser à tous : les clients du magasin, les internautes qui cherchent un livre rapidement, les amateurs d'œuvres numérisées, quitte à se regrouper et à mutualiser les moyens. Le projet Librest, dans l’Est parisien, regroupe par exemple neuf librairies et propose de nombreux services allant du site Internet unique avec un moteur de recherche performant à la possibilité d’être livré en vélo sous trois heures.

Sans pour autant tomber dans l’angélisme car la situation en France n’est pas la même qu’en Belgique, ne jetons donc pas le bébé numérique avec l’eau du bain Amazon… C'est en tout cas tout le sens de l'action du PILEn, qui organise régulièrement pour les professionnels du secteur des formations permettant de faciliter le passage du numérique à tous les niveaux de la chaîne du livre.

Morgane Batoz-Herges

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Rappelons qu’Amazon est implanté au Luxembourg, pays à la fiscalité pour le moins avantageuse.

[2] Voir l’article de Libération, "Les Belges soumis à la tabelle", Frédérique Roussel, 4 avril 2011.

[3] Voir l’article de Télérama, "Le Livre numérique, la riposte des libraires", Christine Ferniot, 27 avril 2013.