Lundi dernier se tenait au Ministère de la Fédération Wallonie-Bruxelles la présentation publique du bilan 2012 des Instances d’avis et des chiffres clés du secteur des Lettres et du livre.

Bernard Gérard, directeur de l’ADEB, a présenté les résultats des deux études menées sur le marché du livre de langue française en Belgique et les statistiques de production du livre belge de langue française pour 2012.

Sans surprise, on voit en 2012 en FWB un marché du livre qui poursuit depuis quatre ans son érosion (-1,5%), aggravée encore si l’on tient compte de l’inflation (-4,2% en € constant). Les secteurs du livre jeunesse, du scolaire/ parascolaire, de la littérature/ poche, des beaux-livres/pratiques qui représentent 65% du marché sont particulièrement touchés (baisse de -4,8%) tandis que les secteurs des sciences humaines et de la BD (27% du marché) s’en sortent globalement mieux, avec une hausse de 4,4%.

Au niveau des points de vente, il y a partout une baisse du chiffre d’affaires, qu’il s’agisse des clubs de livres, des grandes surfaces ou des librairies de deuxième niveau. Ce résultat est cependant à nuancer car il ne tient pas compte du chiffre d’affaires réalisé par les plateformes de ventes en ligne (voir plus loin le résultat de l’enquête Ipsos à ce propos). Seules les librairies générales ou spécialisées semblent tirer leur épingle du jeu avec une augmentation de 5,5% selon les chiffres de ventes déclarés par les distributeurs et éditeurs. Ce chiffre est cependant en contradiction avec les chiffres de ventes déclarés par les libraires qui montrent également une baisse de 3,1% en 2012 par rapport à 2011[1].

Les chiffres 2012 pour la production du livre belge en langue française sont également inquiétants, car pour la troisième année consécutive, on note que celle-ci se tient moins bien par rapport au marché. L’érosion se poursuit en euro courant : passage de 154,5 à 149 millions d’euros, soit une baisse de -3,6% (-6,2% en € constant).

Les quatre secteurs qui s’exportent traditionnellement le mieux sont la BD, le livre jeunesse, les sciences humaines et le scientifique et technique (97% du chiffre d’affaires à eux seuls). Et si l’on se penche plus précisément sur le secteur de la BD (54% du chiffre d’affaires de production, 76% du chiffre d’affaires pour l’export), il est même en baisse de -8,5% et en fort recul à l’export (-8,7%).

En ce qui concerne plus spécifiquement l’édition numérique, les secteurs les plus actifs sont le scolaire, les sciences humaines, le livre jeunesse et la BD (ce secteur a connu en 2012 un phénomène de « rattrapage » avec une forte numérisation d’anciens titres papier). Le chiffre d’affaires est en hausse, il est passé de 9,1 millions en 2011 à 9,8 millions d’€ en 2012, soit une augmentation significative de 7,8%.  

Soucieux de suivre l’évolution de ce marché, les partenaires du PILEn ont confié à Ipsos le soin de réaliser un premier sondage auprès des lecteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles en vue de mesurer à terme l’attractivité du livre numérique, d’évaluer les marchés du livre en ligne qui échappent à l’étude des circuits traditionnels soutenus par la FWB (librairies physiques, bibliothèques publiques), d’estimer le budget moyen consacré à l’achat de livres imprimés et numériques et d’identifier les canaux de distribution.

L’étude IPSOS/ PILEn a été réalisée au mois d’avril 2013 auprès d’un échantillon de 700 lecteurs[2]. Au niveau des pratiques de lecture, sous forme imprimée ou numérique, on note que la littérature générale, les livres pratiques (cuisine, sport, jardinage, décoration) et les BD/ manga sont les trois catégories les plus lues. Les catégories qui ont le moins la cote étant les livres religieux/ spirituels, les livres parascolaires et les livres de droit.

Les livres imprimés restent globalement prédominants sur le marché, puisque selon les catégories d’ouvrages, la part du format papier oscille entre 64% (pour les sciences techniques et médicales) et 90% (pour la BD). Les catégories d’ouvrages les plus lues sous forme exclusivement numérique sont les sciences techniques et médicales, les livres de management/ gestion/ économie et les ouvrages de droit.

Seules 2% des personnes interrogées lisent exclusivement sous forme numérique, mais quatre lecteurs sur dix déclarent avoir lu au moins un livre numérique en 2012. Si l’on se base sur un taux de lecteurs de 62% en FWB, la pénétration du livre numérique y serait donc de 26% dans la population. A noter également que les lecteurs de livres numériques proviennent davantage de la région Bruxelles-Capitale et sont issus d’un niveau socio-culturel moyen ou élevé. Ces quelques éléments rappellent qu’un enjeu majeur des années à venir en FWB sera d’éviter ce que l’on appelle la fracture numérique et de permettre à chacun d’acquérir les compétences nécessaires propres à la littératie numérique/ médiatique[3].

Paradoxalement, si les lecteurs se tournent de plus en plus vers les supports numériques, ils ne sont pas prêts à débourser pour cela autant que pour acquérir un livre sur support papier. En effet, on voit que le budget mensuel moyen alloué à l’achat de livres numériques est plus de deux fois plus faible que celui alloué à l’achat de livres imprimés : 11,40€ contre 24,60€ … De la même manière, la part de livres achetés parmi les livres lus est plus faible pour les livres numériques que pour les imprimés, ce qui laisse à penser que dans les mentalités, livre numérique rime encore avec gratuité. La proportion de livres achetés en numérique demeure d’ailleurs encore faible : un peu moins de 2 livres sur 10. Cela paraît déjà élevé quand on voit que les titres numériques représentent 6,2% du chiffre d’affaires total (éditions propres) réalisé en FWB en 2012 ou qu’en 2011 le taux de pénétration sur le marché de l’ebook est de 0,5% pour la France et de 1,1% pour l’Europe (voir cette intéressante étude du cabinet Kurt Salmon).

L’étude se penche également sur les canaux de distribution de livres imprimés et numériques. L’achat en ligne a bien sûr le vent en poupe : un lecteur de livres imprimés sur trois a acheté par ce biais au moins une fois en 2012. L’achat en ligne est d’ailleurs le troisième canal d’acquisition après les grandes surfaces et les librairies physiques. On peut donc légitimement mettre en regard l’érosion du marché du livre en Belgique et l’importance prise par des sites comme Amazon ou dans une moindre mesure Google Books. En ce qui concerne la distribution de livres numériques, ce sont d’ailleurs ces plateformes de vente en ligne qui arrivent largement en tête (pour près d’un lecteur sur deux), suivis de très loin par la catégorie « autres » qui regroupe en fait les sites Internet proposant des titres libres et gratuits ou via des tierces personnes (parent, ami, etc…).

En ce qui concerne davantage les usages du livre numérique, on constate que les Belges francophones ne se sont pas encore vraiment mis à la lecture mobile sur tablette, liseuse ou smartphone, puisqu’en 2012 7 lecteurs sur 10 semblent avoir privilégié l’ordinateur pour lire un livre numérique. Cette surreprésentation de l’ordinateur interroge et demande certainement précision : certains répondants n’auraient-ils pas intégré dans leur réponse la simple consultation (articles, encyclopédie, etc.) ? On voit également dans cette étude que l’ordinateur est utilisé, dans la plupart des cas, pour télécharger le livre dans son intégralité (dans 79% des cas) afin d’être lu surtout sous format PDF (67% des formats utilisés), l’Epub et les livres-application arrivant loin derrière.

Cette première étude des marchés numériques du livre en FWB permet donc de dégager des grandes tendances et montre aussi la complexité et le côté parfois paradoxal de ce que sont aujourd’hui les pratiques de lecture et d’acquisition de livres, qu’ils soient imprimés ou numériques. Rares sont en effet les personnes interrogées à ne lire que sur support numérique ou à n’acheter qu’en ligne, ces nouvelles pratiques se superposent, s’agrègent en fait aux anciennes pratiques. Pour mieux comprendre ces mécanismes et dégager des profil-type de lecteurs/ consommateurs, il serait intéressant d’approfondir les résultats de cette première étude et de voir plus précisément quels usages de lecture, quels canaux de distribution sont associés dans les réponses, mais aussi quelles sont les attentes des lecteurs en matière de lecture numérique. Il conviendra également de définir dans une prochaine étude, et cela devient de moins en moins évident, ce qu’est un livre, afin de distinguer la lecture d’ouvrages de celle d’articles de presse ou de blogs ou encore de la simple consultation d’encyclopédies ou de base de données.

Ces trois études montrent en tout cas qu’il est plus que jamais urgent de mettre en place une nouvelle politique globale pour le secteur du livre, qu’il soit imprimé ou numérique. Il est important de renforcer des secteurs moteur tels que la BD, le livre jeunesse, le livre scolaire qui actuellement perdent des parts de marché, aussi bien en FWB qu’en export. Le développement du marché du livre numérique ne doit pas se faire aux dépens des acteurs de la chaîne du livre en FWB, il est nécessaire de renforcer les moyens afin de soutenir la création, de permettre aux éditeurs de se lancer dans de nouvelles stratégies et des projets innovants et de soutenir les libraires face à la concurrence déloyale des géants de l’Internet.

Morgane Batoz-Herges

 



[1] Deux raisons peuvent probablement expliquer ce fort écart entre les chiffres de ventes aux libraires et les chiffres de ventes des libraires : d’une part l’augmentation des ventes des distributeurs/ éditeurs aux librairies générales/ spécialisées en 2012 semble provenir majoritairement des distributeurs/ éditeurs BD, cette augmentation ne serait donc pas générale mais spécifique aux librairies BD. D’autre part, ces chiffres déclarés par les distributeurs/ éditeurs ne tiennent pas compte des stocks des libraires au 31 décembre 2012. Or cette fin d’année assez décevante aurait provoqué d’importants retours début 2013.

[2] Au total 1.130 personnes ont été interrogées afin de constituer un échantillon de 700 lecteurs, représentatif de la population (62% de lecteurs en FWB).

[3] Voir le travail réalisé par Habilo Médias, le Centre canadien d’éducation aux médias et de littératie numérique.