À l'occasion du lancement du second appel à projet Ecole numérique, présentation de cette initiative conjointe de la Région wallonne et de la Fédération Wallonie-Bruxelles et retour sur un partenariat ambitieux noué l’année passée dans le même cadre entre des écoles et des éditeurs scolaires.

Ecole numérique, deuxième édition

Ecole numérique doit être compris comme une amorce pour un troisième plan TIC wallon pour l'école. Après le plan Cyberécole lancé dès 1999 (20.000 ordinateurs achetés pour les écoles de la Région Wallonne) et le plan Cyberclasse conçu en 2005 (équiper 3.350 implantations scolaires avec 40.000 ordinateurs), il a été décidé non seulement de renforcer la cellule Cyberclasse du Service Public Wallon, mais aussi de lancer cette nouvelle initiative davantage axée sur les ressources nouvelles, qu'il s'agisse de manuels numériques, de serious games, des réseaux sociaux, etc. et d'équiper les établissements en se basant sur des expériences pédagogiques concrètes. En effet, les plans Cyberécole et Cyberclasse avaient plutôt permis la création de "classes laboratoires" regroupant dans un lieu fixe un nombre important d'ordinateurs (qui commencent petit à petit à dater), plutôt que de privilégier l'usage de l'outil informatique au sein de la classe que ce soit pour illustrer un cours ou faire une recherche sur Internet par exemple.
En 2012-2013 pour le premier appel à projet Ecole numérique, 28 projets avaient été soutenus, pour un budget total de 400.000€. Pour ce second volet, un budget de 1.000.000€ est réservé à l’achat du matériel nécessaire à la mise en place des projets pédagogiques qui seront sélectionnés.
Les objectifs demeurent les mêmes que l'année passée, à savoir l'expérimentation de nouveaux usages pédagogiques supportés par les TIC, l'évaluation, dans le contexte éducatif, d’une large gamme d’équipements technologiques et de ressources numériques et l'identification des facteurs garantissant l’essaimage des usages pédagogiques et des technologies sur lesquelles ils s’appuient.

Chaque établissement scolaire peut remettre un projet pédagogique si celui-ci est innovateur et intègre les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Les projets sélectionnés seront initiés dès le 1er septembre 2013 et s’étendront jusqu’au 30 juin 2014. Les écoles choisies bénéficieront d’un accompagnement technique (cellule Cyberclasse) et pédagogique, ainsi qu'à la gestion de projets (conseillers Ecole numérique). Les écoles sont vivement encouragées à nouer des partenariats avec des fournisseurs d’équipements et/ ou de ressources numériques ainsi qu‘avec des partenaires spécialisés en TICE.

Le projet De Boeck/ Erasme: un véritable laboratoire

C'est dans ce cadre que les éditeurs scolaires De Boeck et Erasme sont devenus en janvier 2012, et ce pour dix-huit mois, partenaires de l'Athénée Royal d'Ans-Alleur (FWB) et du Collège du Sacré-Cœur de Charleroi (réseau libre). Un projet très ambitieux qui a bénéficié d'ailleurs de l’aide financière la plus importante et auquel Apple, l'espace de formation Anaïtis et l'intégrateur de services TIC Win ont également été associés.
Le but de ce projet, initié par Apple et les deux maisons d'édition, était de mettre à disposition des élèves du premier degré une tablette numérique (iPad) et de proposer des contenus pédagogiques en français (Erasme) et mathématiques (De Boeck), afin d'intégrer l'outil informatique personnalisé dans les pratiques pédagogiques, partant du principe qu'il permet une pédagogie réellement différenciée et entretient la motivation des élèves.

De l’avis même de Françoise Goethals (De Boeck) et Michel Charlier (Erasme) qui ont participé activement à cette initiative, cette première expérience très concrète de collaboration avec des écoles a été extrêmement enrichissante[1]. Ce "laboratoire" leur permet de mieux cerner les attentes et les besoins des professeurs qui ont déjà pris le virage du numérique et souhaitent utiliser activement les nouvelles technologies dans leurs pratiques pédagogiques.

Michel Charlier a par exemple été frappé de voir à quel point le travail sur iPad permettait non seulement une relation de confiance entre les élèves (les documents réalisés en cours sont sauvegardés dans une DropBox[2] à laquelle tous ont accès), une réelle cohésion au sein de la classe (les élèves les plus à l'aise avec cet outil aident ceux qui éprouvent davantage de difficultés) mais semblait aussi entretenir l'intérêt et la concentration des élèves. Attrait de la nouveauté ou pertinence de l'outil ? L'avenir nous le dira. Pour Michel Charlier et Françoise Goethals il demeure néanmoins évident qu'enseignants et élèves doivent être formés de manière plus systématique à l'utilisation des nouvelles technologies[3]. Il ne suffit en effet pas qu’une école soit équipée en tablettes pour qu'une utilisation pertinente des technologies numériques soit faite.

Quelques réflexions sur l'édition scolaire à l'ère numérique

Pour Françoise Goethals, le bouleversement numérique et les nouvelles pratiques qui en découlent, notamment sur le plan pédagogique, posent la question cruciale du rôle des éditeurs. Alors qu'Internet permet aux enseignants de "butiner" des contenus, sans garantie de qualité autre qu'une validation par une communauté d'intérêt, la mission des éditeurs est plus que jamais de fournir aux enseignants des contenus sélectionnés et structurés. L'enseignant construit ses cours et agrège à cet effet des contenus, mais c'est à l'éditeur de les penser et de les coordonner au sein de parcours cohérents et validés, avec des objectifs pédagogiques précis et en conformité avec les programmes. Il s’agit d’un important travail d’analyse et de recul, qui est de plus garant du respect du droit d’auteur.

Dans le cadre de ce partenariat, les deux éditeurs ont mis gracieusement à disposition des écoles des applications pour iPad développées spécialement pour ce projet[4]. Un investissement très important en temps (même si Françoise Goethals et Michel Charlier ont le sentiment que le projet s'est déroulé trop rapidement pour permettre réellement des aller-retours entre éditeurs et enseignants au moment de l'implémentation des ressources pédagogiques) et en moyens financiers, et ce sans aucune certitude technologique ni commerciale. Les chiffres sont éloquents: en Belgique en 2011, dans le secteur du  livre scolaire, 42,8% de la production en titres est numérique[5], mais celui-ci ne représente au final que 2,34% du chiffre d'affaire[6]... Pour Michel Charlier, le modèle économique n’est en effet pas viable pour le moment, même lorsque l’on regarde ce qui se fait du côté français, qu’il s’agisse d‘Hachette, d’Hatier ou de Belin.

Deux temporalités sont en plus à l’œuvre : dans le domaine du numérique, l’évolution est permanente, difficile en effet de savoir ce que sera le paysage numérique dans deux, trois ans. Or le système éducatif a un tempo lent, et ce d'autant plus que les moyens sont extrêmement limités, et que compétences sont éclatées entre les Régions (financement du matériel) et la FWB (qui accorde les agréments et subventionne l’acquisition des contenus par les écoles). Afin de permettre le développement de nouvelles ressources pédagogiques et leur utilisation par les écoles, il paraît plus que jamais pertinent d'articuler équipement en matériel et accès aux contenus, et d'assouplir les décrets[7].

Ces réflexions de Michel Charlier et de Françoise Goethals font écho aux recommandations émises par le groupe d'experts numérique (GEN) dans le rapport intitulé "Analyse prospective du développement numérique de la chaîne du livre" remis en mai 2012 à la Ministre: fin de la procédure d'agrément des manuels prévue par le décret, élaboration d'un plan numérique pour l'enseignement obligatoire, formation des enseignants, éducation numérique des élèves.

Fortes de cette première expérience, les maisons d’édition Erasme et De Boeck ont déjà fait savoir qu’elles étaient prêtes à de nouveaux partenariats dans le cadre d’Ecole numérique 2… Pour Françoise Goethals et Michel Charlier il est en effet plus que jamais nécessaire que les éditeurs et les enseignants, sous l'égide des inspecteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles, puissent pleinement collaborer, car en matière de numérique, les parcours pédagogiques sont véritablement à construire ensemble.

Pour participer à ce nouvel appel à projet, les établissements scolaires peuvent introduire leur candidature auprès de la cellule Cyberclasse du Service Public de Wallonie (ecolenumerique@spw.wallonie.be) jusqu’au 14 juin 2013. Cet envoi électronique devra impérativement être doublé d’un envoi par courrier postal dans les quinze jours qui suivent.

A noter également à Paris les 13 et 14 juin 2013, la tenue des Rencontres Culture Numérique sur le thème „Education à la technologie et au numérique“, organisées par le Ministère de la Culture et de la Communication.

Propos recueillis par Morgane Batoz-Herges

[1]Aucune évaluation n’en a encore été réalisée : il est prévu que tous les projets soutenus dans le cadre d’Ecole numérique 1 et 2 soient évalués en juin 2014.

[2]Service d'informatique en nuage, accessible via n'importe quel navigateur Web, proposé par l'entreprise américaine DropBox, Inc.

[3]En ce qui concerne les élèves, c’est la passionnante question de la littéracie (numérique), soulevée notamment lors de la table ronde "Les territoires à l'ère numérique: défis et opportunités" des ReWICs 2013, qui se pose plus que jamais: voir l'exemple canadien.

[4]De Boeck a ainsi construit une application originale sur base de cahiers d’exercices de mathématiques existants. Erasme a développé une version intéractive du magazine Tremplin.

[5]Il ne s’agit pas seulement de la proportion de titres exclusivement numériques : la majorité d’entre eux coexistent en effet avec leur version papier.

[6]Voir l'enquête de l'ADEB "Statistiques de production du livre belge de langue francaise", année 2011, p.22.

[7]L'actuelle procédure d'agrément est extrèmement lourde et prévoit qu'une fois attribué le label "conforme aux référentiels pédagogiques et agréé par la Commission de pilotage", le manuel scolaire, le logiciel ou l’outil agréé ne soit pas modifié dans sa forme ou son contenu pendant huit ans...