Au Québec, le prêt de livres numériques est proposé depuis décembre 2011 dans certaines bibliothèques publiques via la plateforme pretnumerique.ca, implémentée par DeMarque et gérée par BiblioPresto, un consortium indépendant mis sur pied par l’Association des bibliothèques publiques du Québec, le Réseau BIBLIO du Québec et Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BANQ). Depuis mars 2012, ce projet pilote testé initialement par six bibliothèques est devenu un programme de prêt numérique ouvert à une cinquantaine d'établissements. Selon les derniers chiffres sortis dans la presse, 46.000 exemplaires numériques auraient été acquis par les bibliothèques pour 235.000 prêts numériques.
 
Le succès de cette initiative est le résultat d’un travail de concertation important avec l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre et le concours du ministère de la Culture et des Communications et de la Sodec, une société d’Etat rattachée au ministère qui soutient le développement des entreprises culturelles. Les modalités de prêt ont ainsi été déterminées de manière à répondre à la fois aux besoins des auteurs, des éditeurs, des libraires et des bibliothécaires.

Au cours des dizaines d’heures de concertation organisées pour l’implémentation du projet, plusieurs exigences ont été exprimées par les professionnels qui ont eu au final un impact déterminant sur le fonctionnement de la plateforme pretnumerique.ca. Il était par exemple important pour les bibliothèques de privilégier le prêt sous forme de téléchargement, plutôt que sous la forme d’un accès en ligne, de permettre l’achat des livres numériques à l’unité plutôt que par bouquet et de pouvoir également intégrer les livres numériques directement dans les systèmes de gestion documentaires existants afin que les usagers puissent trouver au même endroit livres imprimés et livres numériques.
 
Les éditeurs souhaitaient quant à eux que les livres numériques soient laissés dans les entrepôts où ils les ont déposés. Ils demandaient aussi qu’un cadre juridique soit défini, afin de tenir compte notamment des contrats signés avec les auteurs. Leur dernière exigence, évidemment partagée par les libraires, était d’éviter de fragiliser le réseau des libraires québécois.
 
La particularité de ce dispositif québécois est en effet que les bibliothécaires se tournent vers des libraires agréés pour l'achat de leurs ebooks, et que le modèle physique du prêt est reproduit dans le monde virtuel. Les fichiers sont proposés aux usagers sous EPUB et PDF et sont munis d’un verrou DRM permettant une chronodégradabilité et donc une limitation du temps d’emprunt. Il n’y a pas non plus d’utilisation multiple d’un même fichier : les exemplaires d’un titre sont acquis par la bibliothèque en fonction de ses besoins et un exemplaire ne peut être simultanément prêté à deux usagers.

 

Au Québec, le nouveau défi à relever semble être désormais celui de la formation des bibliothécaires, fort sollicités du côté du service et du soutien technique aux usagers, impliqué par le livre numérique.
 
En France, si l'équipement en liseuses et tablettes est en très forte hausse d'acquisition, avec près de 400 bibliothèques référencées, l'époque en est encore aux balbutiements et premiers tests, notamment avec le projet-pilote PNB lancé par Dilicom, qui, comme son grand frère québécois, vise à faciliter les interactions entre les éditeurs, les collectivités mais aussi les libraires, afin que ces derniers restent impliqués dans le développement de la lecture publique. Si le fonctionnement du PNB est peu ou prou semblable à pretnumerique.ca, il diffère légèrement au niveau des modèles proposés aux éditeurs (les critères de durée de mise à disposition, du nombre d'emprunts autorisés et d'utilisateurs simultanés, d'accès, etc. sont en effet modulables).

Ce projet-pilote français est suivi de près en Belgique francophone, où une réflexion est également en cours sur le prêt numérique en bibliothèque. Une étude a d’ores et déjà été menée par la Fédération Wallonie-Bruxelles, afin d’établir un état des lieux de ce qui existe en matière de prêt numérique dans les bibliothèques de Wallonie et de Bruxelles{1} et d’effectuer un tour d'horizon de la situation juridique, tout en faisant remonter du terrain les attentes des professionnels de la lecture publique.
 
Deux axes de travail principaux sont déjà en cours de réalisation sous le pilotage du Service de la lecture publique. Il s’agit d’une part de construire une plateforme numérique liée à Samarcande, qui serait dotée d’un entrepôt afin d’offrir via les bibliothèques des œuvres du domaine public et les collections pour lesquelles les éditeurs ont accepté de céder les fichiers. Et d’autre part, pour les œuvres dont les éditeurs ne souhaitent pas céder les fichiers, de mettre en place l’interopérabilité de cette plateforme avec les entrepôts et systèmes des fournisseurs de contenus, en s’inspirant notamment du projet PNB de Dilicom.
 
Parallèlement, le Syndicat des libraires francophones de Belgique a été chargé d’une mission, actuellement en cours, de médiation auprès des libraires indépendants en privilégiant une solution mutualisée (soit la réalisation d’une plateforme commune des librairies belges francophones, soit un adossement à une structure francophone existante).
 
Il conviendra toutefois qu’une concertation professionnelle soit mise en place sans plus tarder par la FWB en associant les partenaires du PILEn, représentant les principaux acteurs de la chaîne du livre, ainsi bien sûr que les associations de bibliothécaires. Les exemples français et surtout québécois montrent qu’il s’agit là d’une condition sine qua non pour la réussite de ce projet, tant ce dossier est complexe. Au final, le modèle retenu devra être véritablement « écosystémique », pour reprendre le terme utilisé par DeMarque.
 

par Morgane Batoz-Herges


{1} Nombre d’initiatives existent déjà, comme à la bibliothèque des Chiroux (Liège) qui propose depuis quelque temps déjà d’emprunter des liseuses. La bibliothèque est aussi abonnée à BiblioVox (plateforme permettant de lire en streaming les 9500 titres de son catalogue, sans limite de lectures simultanées et en accessibilité sur tous les supports) et à Numilog (lecture par téléchargement pour une durée d’un mois. La bibliothèque achète un exemplaire de l’œuvre et lorsqu’un utilisateur le loue, le livre n’est plus accessible aux autres lecteurs).