La Bibliothèque Le Phare, à Uccle, a accueilli une quarantaine de personnes le 28 mars pour la cinquième édition des Apéros du numérique co-organisée par Bela et le PILEn, avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles. La soirée animée par Françoise Brumagne (RTBF Culture) était cette fois-ci consacrée aux communautés de lecteurs et à la prescription sur Internet.

Apéros du numérique

Quelles stratégies, quels modèles pour les réseaux sociaux de lecteurs ?

En guise d’introduction aux réseaux de lecteurs, une approche théorique des stratégies et des modèles économiques déployés sur ce marché a été présentée par Louis Wiart. Doctorant contractuel à l’Université Paris XIII, Louis Wiart prépare une thèse consacrée à la prescription littéraire sur les réseaux socionumériques de lecteurs (découvrez ici l'article qu'il a récemment écrit pour le site du PILEn).

Depuis quelques années, les communautés de lecteurs se multiplient sur Internet. Louis Wiart les perçoit comme les « héritiers des salons, des cafés ou des clubs de lectures ». Il définit également la prescription littéraire comme le « recours à l’intervention d’un tiers (ou prescripteur) pour opérer des choix de lecture ». C’est cette prescription littéraire qui est au cœur du fonctionnement des réseaux de lecteurs. Louis Wiart en distingue plusieurs catégories comme les pure players (Babelio, BD Gest’, Booknode) ou encore les réseaux adossés à d’importantes structures industrielles afin de soutenir l’activité principale comme MyBoox (Hachette), À blog ouvert (Pocket jeunesse) ou encore Lire en série (Michel Lafon). Certaines sociétés jouent également sur la crédibilité de l’internaute auquel on accorde souvent plus de confiance qu’à une publicité classique pour assurer la promotion de leurs livres : un service de presse peut par exemple être envoyé à des internautes ciblés en échange d’une critique. En effet, on observe une meilleure réception d’une critique publiée par un internaute, notamment en termes de perception de la fiabilité et de la sincérité des recommandations.

Parmi les pure players, certaines plateformes comme Babelio se sont rapidement positionnées sur le marché. Ces pure-players pourraient-ils supplanter un prescripteur plus traditionnel comme la presse ?

Le bouche à oreille : au « cœur » du système Babelio

Pierre Krause, responsable éditorial et community manager de Babelio, affirme qu’un réseau de lecteurs comme Babelio ne supplante pas la presse mais lui est complémentaire : face à la quantité de livres sur le marché, la presse est nécessairement limitée dans le nombre d’ouvrages pour lesquels elle peut publier une critique alors qu’une communauté de lecteurs ne rencontre pas ce problème.

L’interactivité liée à la logique participative du web 2.0 dans lequel s’inscrit le phénomène permet à la fois de trouver des critiques pour une large quantité de titres et des critiques variées sur un même titre. 79.3 % des internautes interrogés dans le cadre d’une étude de Babelio affirment ainsi avoir découvert une part importante de leurs lectures grâce au bouche à oreille (voir Étude de Babelio sur le bouche à oreille et le livre). Ce concept est au cœur du « système » Babelio : les internautes s’y connectent non seulement pour partager des critiques et établir des évaluations mais également pour trouver de nouvelles idées de lectures.

Lancer un blog de bibliothèque : une nécessité mais à certaines conditions

Quant au blogging, il est de plus en plus fréquent dans les bibliothèques. Liée notamment à un souci de visibilité, cette activité devient une nécessité à l’ère du numérique pour échanger avec le public, promouvoir des livres et communiquer sur les événements organisés par la bibliothèque. Patrice Deramaix, bibliothécaire documentaliste au Phare, a mis en place le site de la bibliothèque et ouvert plusieurs blogs.

Si le blog devient une activité incontournable pour le bibliothécaire, celui-ci est confronté à différentes problématiques telles que l’investissement en temps, la technique mais également à une problématique d’ordre déontologique. En effet, le bibliothécaire écrit au nom d’une bibliothèque et doit maintenir une certaine réserve dans ses propos sans se laisser guider par des choix trop personnels, notamment pour choisir les titres mis en avant dans le blog. Retrouvez ici l'intéressant compte-rendu que Patrice Deramaix propose de son intervention, avec en outre plusieurs liens et ressources utiles pour des bibliothécaires qui souhaiteraient se lancer dans l'aventure du blogging.

Du blog à la librairie : l'exemple de ptyx

Au contraire du bibliothécaire, le libraire doit choisir et même juger les livres qui se trouvent (ou pas) dans sa librairie. C’est en tout cas la position d’Emmanuel Requette, qui a ouvert la librairie ptyx à Ixelles il y a un peu plus d'un an. Outre une présence très active sur Facebook, il tient un blog, créé à l'origine pour faire connaître la librairie avant son ouverture, sur lequel il propose plusieurs fois par semaine des chroniques de livres. Aujourd’hui, il constate le fort impact de ce blog qui non seulement lui permet de fidéliser sa clientèle, mais aussi d'attirer à lui de nouveaux clients. Nombre d'entre eux achètent en effet un livre uniquement parce qu’ils ont lu l'un ou l'autre article du blog. Emmanuel Requette ne vend de toute façon dans sa librairie que des livres qu'il aime et il l'assume, se décrivant comme un « libraire d'opinion ». Pas d’Amélie Nothomb ni de Guillaume Musso donc... il tente d'orienter ses clients vers d’autres livres dont il a reconnu la qualité littéraire, car il affirme avoir lu tous les livres qui se trouvent dans sa librairie afin d’être à même de juger leur valeur intrinsèque. Une pratique de la prescription poussée à l’extrême mais cohérente compte-tenu du projet global, qui a tout de même suscité nombre de commentaires assez tranchés du côté du public, clairement partagé entre l'adhésion totale à cette démarche et le rejet net et définitif.

Le public de cette cinquième édition des Apéros du numérique s'est en effet montré fort réactif durant toute la soirée. Nombre de réactions et des avis divergents se sont fait entendre sur la prescription littéraire elle-même. Parmi les questions de l’assemblée : l’organisation selon la proximité des goûts littéraires de Babelio n'empêche-t-elle pas certaines découvertes ? Combien de livres restent ainsi dans l’ombre ? Si, à l’ère du numérique, blogger devient une nécessité pour les bibliothèques, ne faut-il pas prévoir des postes supplémentaires pour cette activité chronophage ? Le projet de la librairie ptyx n'est-il pas foncièrement élitiste ? Est-ce le rôle du libraire d'accompagner le lecteur dans ses lectures pour l’intéresser à des ouvrages de plus en plus ardus ? Et finalement, une question qui résume tout le débat : qui peut juger de la qualité des livres d'Amélie Nothomb ou de Guillaume Musso pour en faire ou pas la prescription ? Les lecteurs ? Le journaliste littéraire ? Le bibliothécaire ? Le libraire ?

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