Dans le cadre du récent Festival Anima, le PILEn a organisé sa huitième Rencontre de la webcréation, consacrée cette année à la coédition et production jeunesse. Autour de la table, des représentant·es de tous les maillons de la chaîne de la littérature jeunesse ont échangé leurs visions, notamment sur les opportunités du transmédia pour intéresser les jeunes à la lecture.
La production jeunesse, pour qui ?
Avant toute chose, les intervenant-e-s ont avancé leurs définitions du public jeunesse. Pour Valérie Magis (autrice et scénariste transmédia), ce dernier apparait particulièrement morcelé entre le préscolaire filles, le préscolaire garçons, les 6-8 ans, les 7-9 ans, etc. Pour l’autrice, passé l’âge de 10 ans, on ne se situe plus dans la production jeunesse. Quoi qu’il en soit, à chaque segment du public cible correspond un style d’écriture différent, des codes particuliers, qu’il s’agit de prendre en compte. Laurent Abecassis (producteur spécialisé en post-production) trouve également qu’une différence d’approche doit être faite en fonction des âges. Cependant, il n’adopte pas la même catégorisation que Valérie Magis, en parlant de 4-8 ans, de 7-12 ans et aussi des produits destinés au coviewing parents-enfants. Baptiste Charles (Screen Brussels), a une approche plus globale encore, où il définit la littérature jeunesse comme allant de 3 à 18 ans.
Pour Odile Josselin (éditrice de livres pour enfants), les mentions d’âges sont faites avant tout pour que le public s’y retrouve. Dans les faits, les catégories sont de moins en moins vérifiées : les lecteurs ont des compétences variables à des âges identiques, peuvent avoir envie d’expérimenter des œuvres plus complexes ou de revenir vers davantage de confort de lecture ; il y a de plus en plus de passerelles et d’allers-retours. A ce titre, Baptiste Charles pointe que les catégories d’âges des livres ne se prêtent d’ailleurs pas à la réalité des curations automatiques des plateformes de vidéos, où la prochaine vidéo à se lancer ne conviendra pas forcément à la tranche d’âge de l’utilisateur.
L’édition numérique pour réconcilier jeunes et lecture ?
Colombine Depaire (conseillère en médiation du livre et du numérique) note que le numérique prend de plus en plus de place dans l’édition, même chez de petits éditeurs qui n’hésitent pas à mettre sur pied des expériences innovantes de contenu augmenté. Si le développement de l’édition numérique pose la question de l’usage des écrans chez les moins de 3 ans, il permet surtout de toucher des publics qui ne sont pas en contact avec la lecture sous son format traditionnel. Ou de toucher des publics qui consomment moins de produits culturels, car l’édition numérique apporte aussi son lot de nouvelles thématiques.
Pour autant, le futur de la littérature jeunesse réside-t-il dans la multiplicité des supports ? Pour Sergio Honorez (réalisateur, scénariste et directeur éditorial), il est d’abord important de capter le public dès le plus jeune âge, avec des produits comme les BD muettes pour les 3-6 ans, car ce sont les enfants d’aujourd’hui qui feront les lecteurs de demain. Ceci étant dit, le support prend un même contenu pour le travailler autrement. Ce travail amène une nouvelle écriture, une nouvelle grammaire, de nouveaux canevas, comme scroller pour lire. Ce qui constitue un enrichissement. Baptiste Charles est d’avis que la littérature multisupport peut permettre d’attirer les jeunes. Mais avant tout, les parents et l’école doivent jouer leur rôle de prescripteurs, pour donner l’envie de consommer du contenu. Par ailleurs, la nouvelle écriture est essentielle pour exploiter correctement du multisupport et savoir comment raconter une histoire sur un support donné. Pour lui, on peut parler d’innovations mais il ne faut jamais oublier que ces dernières ne sont qu’un véhicule pour le contenu. Le contenu est roi et la première innovation, c’est la thématique. La technologie, comme la réalité augmentée ou la réalité virtuelle, doit constituer une valeur ajoutée intégrée dès le début du travail d’écriture, et non pas un gadget ajouté à des fins promotionnelles.
Pour Valérie Magis, pour intéresser les jeunes lecteurs, il s’agit avant tout de leur donner de l’importance, de les faire plonger dans une expérience peu importe le médium. Il faut que le héros ait besoin du spectateur. L’autrice et scénariste pense en outre qu’il ne faut pas perdre de vue que le public a assurément des attentes de nouvelles expériences, mais n’a pas forcément envie d’être non plus bousculé dans ses habitudes. Dès lors, il convient de ne pas vouloir aller trop vite trop loin en termes de nouvelles écritures, de transmédia, etc.
Colombine Depaire ajoute qu’affirmer qu’il y a un problème de lecture chez les jeunes n’est pas tout à fait juste, car les jeunes lisent beaucoup : des sous-titres de vidéo ou de la littérature graphique, cela compte et n’est pas à considérer comme de la concurrence pour la littérature classique, mais de la complémentarité.
Pour conclure, on pourrait reprendre l’intervention d’une responsable de OUFTIVI, le label 360 jeunesse de la RTBF, présente dans le public ; la RTBF a adopté une stratégie de production de contenu entièrement orientée vers les besoins et les usages du public, en l’occurrence des 3-15 ans. A ce titre, OUFTIVI place les jeunes au centre du processus, et fait exister l’enfant qui a des choses à nous apprendre. En tant qu’adulte, tenter de prendre la place de l’enfant ou écouter ses propres enfants ne suffira jamais. Le consommateur de contenus doit être impliqué dans la création de ces derniers.
Au-delà de la définition de la jeunesse ou de l’usage des nouvelles technologies et du développement de nouvelles écritures, c’est peut-être là que réside la meilleure piste de développement pour les futurs de la production jeunesse : l’écoute des besoins et l’implication directe.