Frédéric Young, délégué général de la Scam pour la Belgique, porte les attentes des auteurs et autrices vis-à-vis du futur contrat de filière pour le livre en Fédération Wallonie-Bruxelles. Quelles dispositions pourraient soutenir la création et inclure les publics ?
Qu’attendez-vous d’un contrat de filière du livre pour vos membres dans les 5 prochaines années ?
Frédéric Young : J’attends une activité professionnelle rémunérée, avec une visibilité et un rayonnement accrus vers les publics.
J’attends également la mise en place de dispositifs qui permettent une meilleure connaissance de l’ensemble de la filière par chacun de ses membres, ce qui leur permettrait d’établir leurs propres stratégies. Qu’est-ce qu’une bibliothèque, une librairie pourrait attendre d’un auteur ? En ne dépassant pas une sphère de connaissance limitée, on n’imagine pas tout ce que l’on pourrait faire. Mieux connaître l’activité et les contraintes de l’autre ouvre des pistes.
Quelles sont les 3 à 5 priorités sur lesquelles il faudrait mettre l’accent pour permettre à vos membres de développer leur activité d’ici à 10 ans ?
La première priorité : une base de données des publications aussi complète que possible, c’est un outil fondamental. Il s’agit que le public sache commander un ouvrage avec ses coordonnées exactes.
La deuxième : poursuivre le travail de réflexion et de formation entamé avec l’interprofession. Améliorer la connaissance individuelle et collective des métiers, comme je l’ai évoqué plus haut, et apprendre à mieux tirer parti de ces informations.
Troisième point : l’action des pouvoirs publics est déterminée par la structure administrative et budgétaire et pas par les besoins du terrain. Elle est trop polarisée, il n’y a pas assez de réflexion globale. En reconnectant les actions aux différents niveaux de pouvoir, avec des objectifs à court et moyen terme, sous-tendus par une vision globalisée, on pourra soutenir l’action artistique au mieux.
Quatrième : aider les auteurs et les autrices à faire une carrière. On sait combien cela prend du temps. Il faut assurer une constance de la création et accepter les aléas de ce processus d’un point de vue artistique, commercial, relationnel… Cette vision dans le temps nécessite de nouveaux outils puisqu’aujourd’hui, on est dans une annualisation des budgets.
La cinquième priorité se base sur le fonctionnement des maisons d’édition : celles-ci mutualisent les risques sur les ouvrages d’une année. Cette économie ne fonctionne pas assez en faveur des autrices et des auteurs qui n’en bénéficient que s’ils parviennent à négocier des à-valoir qui dépasseraient les droits d’auteur obtenus sur les ventes. Il faudrait imaginer un dispositif qui permette de mutualiser les risques pour les auteurs, quelque chose qui s’écarte du cas par cas.
Ensuite, le droit d’auteur et les dispositifs de licences légales permettent d’alimenter les auteurs et autrices de revenus qui proviennent de la société en général : mieux articuler la politique de droits d’auteur et la politique culturelle serait fécond.
Il faudrait également pouvoir rapprocher les auteurs des publics au travers des bibliothèques et des librairies, en fait développer tout ce qui crée une relation entre les auteurs et les publics. Cette relation est un puissant vecteur de dynamisation de la filière.
Enfin, de manière générale, le contrat de filière devrait aider les auteurs à passer des accords pour obtenir et formaliser des usages respectueux dans la profession.
« La première priorité : une base de données des publications aussi complète que possible, c’est un outil fondamental. »
Frédéric Young, délégué général de la Scam
Comment, selon vous, s’assurer d’une filière du livre résiliente et innovante ?
Frédéric Young : La résilience se trouve dans le dynamisme de la création, qu’il faut connecter au maximum aux publics. Nous avons besoin de marketing, de susciter l’intérêt commercial, mais il reste également un réseau à activer : celui des petites librairies et points presse que nous ne touchons pas en Wallonie et dans lesquels s’effectuent de 20 à 30% de la vente de livres.
Soutenir l’innovation dans la création est fondamental à cet égard : on sait que c’est ça qui tire toute une filière. J’insiste sur le fait que l’économie d’édition est une économie de prototype : chaque livre représente un défi spécifique. Mieux comprendre ce mécanisme permettrait de mieux tirer parti de l’innovation.
Mais l’innovation peut également se trouver ailleurs : je pense à l’accès aux déclinaisons numériques d’une œuvre (jeux, adaptation sonore, etc.) qui échappe aux petits éditeurs alors qu’on sait qu’il y a des pays où la bande dessinée se crée pour être lue sur smartphone.
À cet égard, on attendrait a minima une curiosité des pouvoirs publics vis-à-vis des initiatives existantes : à ma connaissance, izneo est la seule plateforme européenne d’abonnement à la bande dessinée et je ne lui connais pas de lien avec les pouvoirs publics. Cela pose question : est-ce que les pouvoirs publics ont collectivement envie d’être le lieu où s’ancrent l’innovation et les projets ? Font-ils en sorte que la Belgique francophone soit perçue comme un territoire intéressant pour s’y installer ?
Pour ce faire, il est nécessaire de réviser le décret sur les bibliothèques et les centres culturels. Il a été rédigé à la fin des années 80 et ne convient plus. Au-delà de ça, c’est toute une culture de l’innovation scientifique et artistique qu’il faut favoriser, avec un ancrage sur le territoire.
À ce propos, comment garantir la présence du livre sur tout le territoire ?
Frédéric Young : Je reviens à ce point essentiel : le futur contrat de filière devra se préoccuper davantage des publics. Pour mieux le dire, concernant les auteurs et autrices : proposer une meilleure valorisation des professionnels pour mieux servir les publics. L’arrivée des régions et des communes entrainera le besoin de résultats. Nous pourrions les obtenir en articulant l’action de différents acteurs, par exemple la bibliothèque et l’enseignement au sens large. La séparation actuelle : enseignement/bibliothèque/culture est à revoir. Dans ce cadre, une mutualisation des expériences déjà menées serait très enrichissante.
Cela ne s’obtiendra pas sans une politique de soutien aux librairies et aux bibliothèques de qualité, tournée vers la démocratisation culturelle, mais aussi articulée au réseau de points presse qui pourraient jouer un rôle dans cette valorisation/visibilisation des auteurs et autrices.
Et puis, hors la question du territoire en tant que tel, où l’on peut identifier les manques et les résoudre, il s’agit aussi de l’accès social au livre. La pauvreté culturelle existe, et l’accès à l’art, d’abord, et la culture ensuite par l’école est fondamental à ce sujet.
« De manière générale, le contrat de filière devrait aider les auteurs à passer des accords pour obtenir et formaliser des usages respectueux dans la profession.»
Frédéric Young, délégué général de la Scam
Comment pérenniser et soutenir l’emploi et la formation dans votre secteur ?
Frédéric Young : Pour ce qui est de la formation et des besoins à identifier, le PILEn remplit pleinement sa tâche.
En ce qui concerne l’emploi, je vois plusieurs pistes.
En premier lieu, j’insiste encore sur ce point, soutenir l’innovation. C’est de ce bouillonnement créatif couplé à une exigence artistique et professionnelle que les projets qui vont rencontrer le succès jaillissent.
Ensuite, lancer à l’échelle locale des projets centrés sur des objectifs concrets à 5 ou 10 ans pour ancrer l’activité et générer de l’emploi.
Nous pourrions également, je l’ai déjà mentionné, permettre et soutenir des carrières (et non plus offrir un soutien au coup par coup) : c’est faisable à l’échelle des budgets disponibles.
Mais avant tout, il nous faut résoudre la question du « statut d’artiste » : protéger le statut fiscal actuel, réformer la protection sociale des artistes, et le faire sans que le piège se referme sur eux et sur elles au travers de mécanismes temporaires ou inadéquats. Le chômage artistique n’est pas et ne sera jamais une solution.
Comment penser et mettre en place une filière du livre durable ?
Frédéric Young : Il faut mettre des chercheurs sur le problème écologique. Il existe des spécialistes qui peuvent se pencher sur un secteur et en tirer des préconisations.
Dans le domaine de l’édition, de grands enjeux sont identifiés : la surproduction de livres, qui mène au pilon (de la même manière dont on détruit les surplus agricoles, on détruit une partie de la production pour que le prix du marché ne s’effondre pas), le transport, la multiplication des envois par les grandes plateformes…
Cela dit, la filière du livre pose des problèmes spécifiques, qui mériteraient une réflexion. Le livre d’occasion, mis en vente sur les plateformes sur le même pied que le livre neuf, en est un.
À la MEDAA, nous abritons The GreenShot, une start-up créée par Max Hermans qui a mis au point une application permettant de calculer l’empreinte carbone d’un tournage en temps réel. Elle a remporté en décembre dernier un Production Tech Innovation Award accordée par un jury de professionnels anglais du cinéma. Max lève des fonds pour décliner son application dans d’autres secteurs. Avec un soutien public, il accepte de l’adapter et de la tester dans les secteurs qui le sollicitent. Voilà une piste possible.
« Avant tout, il nous faut résoudre la question du "statut d’artiste" : protéger le statut fiscal actuel, réformer la protection sociale des artistes, et le faire sans que le piège se referme sur eux et sur elles au travers de mécanismes temporaires ou inadéquats. »
Frédéric Young, délégué général de la Scam
Quel apport de la filière du livre au rayonnement et à l’économie territoriale ?
Frédéric Young : Je vais être sévère, mais la politique de rayonnement est insuffisante et doit être redynamisée. Il existe certains outils, comme Wallonie-Bruxelles International (WBI) ou Hub.brussels, mais ils apparaissent comme segmentés. Les connexions entre eux semblent faibles, voire inexistantes, et trop d’institutions mettent en place des politiques découplées du marché et des réalités des artistes. Il faudrait trouver dans le futur contrat de filière une exigence de mise en commun. Mettre tous les acteurs et actrices autour de la table et fixer des objectifs ambitieux.
Nous avons de grands talents artistiques dont nous ne tirons pas assez parti.
Cela posé, notre situation particulière doit être prise en compte dans l’analyse : l’édition belge francophone est dominée par des maisons étrangères. Dans le meilleur des cas, des pôles sont encore implantés sur le territoire. Je pense à Dargaud/Lombard, Dupuis, Casterman… Mais nous ne savons pas de quelle liberté ils jouissent. Pour le reste, nous avons de toutes petites maisons d’édition. La filière se compose donc d’entreprises étrangères, qui la dominent, et de microstructures. Pour minimiser notre dépendance, il serait judicieux de ne pas subventionner exclusivement ces dernières : il faut donner, investir dans les grandes structures pour obtenir en contrepartie davantage d’indépendance.
Pour ce qui est de l’économie territoriale, je le répète, le développement interviendra à travers les publics. Ce serait bien d’ailleurs que le PILEn intègre des lecteurs, des acheteurs de livres dans sa réflexion stratégique, car c’est l’une de ses tâches : mieux faire entendre leurs réflexions et leurs attentes. Il pourrait lancer une étude sur les comportements des publics. Elle se compléterait éventuellement par l’organisation d’un cycle avec les grands acteurs du secteur sur la question des déterminants d’achat et d’emprunt, par exemple. Structurellement, ces grandes maisons disposent d’outils marketing plus développés que les autres acteurs de la filière. Ce serait intéressant de connaître leurs pratiques.
Pour conclure, je reviens aux deux objectifs fondamentaux de Bouger les lignes en ce qui nous concerne : développer la création, développer les publics.
Après, tout n’est que façon de faire, acquisition de connaissances et d’expérience…