Catherine Mangez est libraire et cogérante de la librairie Papyrus à Namur, elle est aussi coprésidente de l’Association des librairies indépendantes de Belgique francophone. Le contrat de filière représente pour elle la possibilité de voir les communes s’impliquer davantage dans la présence du livre sur leur territoire. Elle y voit aussi l’opportunité de construire une filière forte.
Qu’attendez-vous d’un contrat de filière du livre pour vos membres dans les 5 prochaines années, en tenant compte de la manière dont la crise du Covid les a affectés ?
Catherine Mangez : j’attends d’un contrat de filière que l’on se penche sur la lecture à tous les niveaux de pouvoir. Elle les concerne tous et tous peuvent agir à leur niveau. Pour l’instant, qu’est-ce que chaque d’entre eux investit dans le livre et la lecture ? Je me permets de rappeler que le livre est « bon » pour le citoyen et le territoire, que ce soit en terme d’emploi et d’activité économique mais aussi car l’action de lire est bénéfique à beaucoup d’égard et qu’il serait donc utile que la promotion de la lecture soit dans les préoccupations de chacun.
Pour être plus précise : au niveau communal par exemple, il y a la question des écoles et des lieux d’apprentissage. Un contrat de filière pourrait amener tous les partenaires qui en sont responsables à demander à leurs réseaux de donner plus de place au livre. Par rapport aux écoles, en particulier, il y a quelque chose de lacunaire dans notre système.
« Au niveau fédéral, une mesure très concrète, mais importante, serait d’instituer un tarif postal réservé au livre, qui aide à sa circulation. En matière de filière, c’est important de pouvoir fonctionner avec de petits éditeurs qui travaillent avec la poste pour leurs livraisons. »
Catherine Mangez, libraire et coprésidente de l’Association des librairies indépendantes de Belgique francophone
Il serait bien de pérenniser dans le contrat de filière une mesure qui existe déjà : le label qui identifie les librairies indépendantes de qualité.
Et puis, il reste cette question fondamentale de la diffusion du livre. Ici, en librairie, nous avons 70% de nos livres qui arrivent par la France. Nous n’avons pas en Belgique de plateforme logistique qui permet aux éditeurs belges et aux libraires belges de faire circuler les livres entre eux, seules quelques petites structures existent. Ce dernier point touche à la mise à l’emploi, que la mise en place d’une telle plateforme requerrait : elle pourrait être financée par une région.
Quelles sont les 3 à 5 priorités sur lesquelles il faudrait mettre l’accent pour permettre à vos membres de développer leur activité d’ici à 10 ans ?
Catherine Mangez : La question logistique est un enjeu réel. Il y a trois ans, nous étions arrivés à une très belle qualité en matière de délai et de livraisons : nous étions à trois jours de délai, ce qui nous permettait d’être compétitifs par rapport aux grandes plateformes. Désormais, à la suite de l’épidémie de COVID – mais pas exclusivement – nous en sommes parfois à trois semaines. J’insiste sur ce point, car les petites librairies ne sont pas livrées tous les jours depuis Paris et pour ces petits points de vente, c’est un enjeu encore plus important.
L’autre problème auquel nous devons faire face est celui de la surproduction éditoriale. Tout d’abord, elle génère de gros coûts : nous commandons des livres, nous les retournons et nous recommençons. Tout ce travail peut faire perdre de l’argent aux libraires et aux éditeurs. À l’heure actuelle, la sélection de ce que nous allons proposer prend énormément de temps à elle seule. Il faut un équilibre entre créativité éditoriale et production raisonnée. Si le contrat de filière favorise les relations entre les différents acteurs, c’est une question dont nous pourrions traiter ensemble.
L’autre enjeu des libraires est de faire venir les gens en librairie. Pour cela, nos atouts sont de posséder un stock bien achalandé, que les clients puissent consulter des livres avant de les acheter, et de conseiller : c’est là où on peut concurrencer Amazon. Nous avons démontré avec LIBREL que les librairies belges ont énormément de livres en stock et qu’il ne faut pas spécialement acheter en ligne pour avoir son livre rapidement. Il faut faire perdurer cet avantage qui permet aux libraires de rester attractifs dans leurs lieux physiques. Cette attractivité passe aussi par des animations de qualité en librairie.
Dernier enjeu à penser dans le contrat de filière : le prix du livre. Nous avons besoin qu’il reste fixe. C’est primordial pour la pérennité de notre activité.
Le décret donne une latitude sur la remise faite aux collectivités, mais ces remises accordées réduisent la marge du libraire, au contraire des autres acteurs de la chaine. Il faudrait aller plus loin législativement sur leur limitation.
Comment, selon vous, s’assurer d’une filière du livre résiliente et innovante ?
Catherine Mangez : La filière sera résiliente lorsque chaque acteur qui aura participé à la création d’un livre pourra en vivre.
Comment y parvenir ?
Par la vente du livre. Par le soutien public à la création et à l’édition. En s’assurant que le livre ne soit pas trop cher (mais son prix a peu évolué ces dernières années).
En Belgique, il serait difficile d’avoir une filière du livre qui n’ait pas besoin d’argent public pour soutenir la création et l’édition, mais il faut rappeler que ce sont des acteurs qui prennent des risques financiers importants.
Concernant les librairies, c’est l’aspect commercial qui a besoin d’être soutenu.
Dans le cadre d’un contrat de filière, ce serait génial que les communes se demandent s’il y a un commerce du livre sur leur territoire et que, si ce n’est pas le cas, il y ait des aides à l’installation, à la création d’une librairie, ainsi que des aides à l’emploi. Les possibilités d’emplois subsidiés existantes sont difficiles à utiliser pour les librairies qui ont besoin d’un personnel qualifié. C’est toujours un stress d’engager.
Les librairies reçoivent des aides pour les animations, et comme l’un des enjeux est de faire venir les clients en librairie, ce serait positif de les étoffer, mais aussi de permettre au libraire d’aller à l’extérieur faire la promotion de la lecture et du livre. Nous sommes des indépendants et pour l’instant, nous ne facturons pas ces visites qui sont chronophages – c’est la même chose pour les visites de classe en librairie.
Comment garantir la présence du livre sur tout le territoire ?
Catherine Mangez : J’insiste sur le fait qu’il y a là un véritable enjeu pour les communes : que soient présentes sur leur territoire ou proche de leur territoire une bibliothèque et une librairie.
Si on élargit la question, la présence du livre dans les écoles communales et les lieux culturels est également un enjeu important. Il y a un réel manque de livres dans toutes les écoles, surtout maternelles et primaires. En tant que libraires, nous recevons tous les jours des instituteurs qui viennent acheter des livres avec leur salaire. Il y a peu de ressources mises à disposition pour que les enseignants disposent de ces outils. Ce ne sont pas des postes bien financés dans les écoles, car il n’y a pas de financement réservé. Les bibliothèques de classe sont souvent constituées de livres récupérés. Or, nous constatons que l’enfant qui entre dans la librairie prend un siège, s’assied et lit. Donc l’enfant est très souvent naturellement attiré par l’objet livre. C’est une porte d’entrée : l’enfant qui lit deviendra un adulte lecteur.
Comment pérenniser et soutenir l’emploi et la formation dans votre secteur ?
Catherine Mangez : Il existe pour la librairie des formations très variées et nécessaires, car c’est en pratiquant le métier que l’on s’aperçoit de certains manques. L’association des libraires offre des formations gratuites.
Mais, et c’est un obstacle de taille, une fois que l’on est libraire, il est très difficile, voire impossible de s’arrêter, surtout dans une petite librairie.
Il faudrait que le libraire puisse compenser les pertes de son absence en librairie, ce qui lui permettrait de bénéficier d’une formation essentielle à la gestion de son établissement, par exemple, qui est loin d’être évidente.
Par rapport à la pérennisation de l’emploi, plusieurs aides seraient indispensables : obtenir le soutien d’une personne extérieure compétente pendant quelques semaines ferait une vraie différence pour les libraires en difficulté, ainsi que pouvoir demander de l’aide en gestion et trésorerie à la banque du livre.
« Si nous pouvions simplement avoir le temps de nous réunir, d’échanger entre nous les bonnes pratiques, cela ferait déjà une belle différence : comment soutenir ce type d’échanges ? C’est une question que nous adressons au futur contrat de filière. »
Catherine Mangez, libraire et coprésidente de l’Association des librairies indépendantes de Belgique francophone
Comment penser et organiser une filière du livre durable ?
Catherine Mangez : Notre libairie fait partie de l’Association pour l’écologie du livre, qui ne compte pas encore beaucoup d’acteurs belges. C’est le début de cette association qui regroupe des auteurs, des éditeurs, des imprimeurs, des libraires, des distributeurs.
Dans la pratique, nous connaissons les enjeux : la fabrication du livre (le choix du papier et des encres), le gaspillage (un cinquième de la production sera pilonné), le transport (pour une librairie comme la nôtre, de trois à quatre camions passent tous les jours, ainsi que des camionnettes DHL, etc.).
Au sein de l’association, il s’agit pour l’instant de faire de la pédagogie : le « tout, tout de suite » génère de la pollution, par exemple.
Il me semble aussi que les éditeurs devraient se poser la question de la place de leur livre dans la chaine éditoriale : faut-il encore publier sur un sujet largement traité ?
Nous pourrions aussi envisager dans ce cadre un label qui identifie les productions plus durables et en faire la pédagogie auprès du grand public.
Quel apport de la filière du livre au rayonnement et à l’économie territoriale ?
Catherine Mangez : Il faut noter que le livre et la lecture sont en majorité financés par des achats et pas par des subsides. L’enjeu pour les libraires en Belgique, c’est de survivre aux grandes plateformes : 20% d’échanges commerciaux nous échappent. Comment les relocaliser ? C’est une question qui touche à l’emploi, aux rentrées fiscales… Voilà l’avantage de créer une filière forte.
Pour ce qui est du rayonnement, je pointerai ici tous les ouvrages liés au tourisme local : depuis le confinement, nous assistons à une explosion de la production et de la demande concernant le territoire.