Autrice et féministe, Claire Deville réside à Bruxelles depuis 2008. En 2013, elle participe au concours pour jeunes écrivains APAJ du journal Libération qu’elle remporte avec son texte Dernier tango à Bruxelles. Elle part vivre à Buenos Aires, où elle écrit son premier roman Les poupées sauvages paru aux éditions Délirium en 2014. Son deuxième roman Les citrons, est publié en avril 2017 aux éditions Murmure des Soirs avec une bourse découverte de la Fédération Wallonie-Bruxelles. En 2019, elle s’attelle à l’écriture d’un recueil jeunesse, Le renard plat et autres contes pour enfants devenus adultes, qu'elle travaille lors d'ateliers avec Veronika Mabardi dans le cadre de Chambres d'échos 2021. En parallèle, elle travaille à l’écriture du roman Lune atroce soleil amer, en attente de publication. Depuis 2020, elle continue à développer son travail créatif multiforme à La Cambre, où elle est doctorante en écritures contemporaines, et à Charleroi Danse ou Passa Porta, où elle est invitée comme artiste en résidence en 2020 et 2021. Elle y travaille sa première création scénique CHAMANE, un monologue poétique produit par If Operator, avec l'aide de Lisette Lombé comme relectrice grâce à une bourse de la Scam.
Originaire du sud de la France, Alain Munoz voulait faire de la bande dessinée : il décide de partir à Bruxelles et intègre Saint-Luc. Depuis, il travaille dans une association où il anime des ateliers d’art plastique et de bande dessinée. Il est l’un des membres fondateurs du label Habeas Corpus (fanzines), où il publiera 7 épisodes du Grand Vide. Depuis 2010, il scénarise avec Cyril Elophe des bandes dessinées (dont la série Vanina, de 2010 à 2018) pour le magazine Philéas & Autobule. De 2016 à 2019, il signe les illustrations (recueil et affiche) du grand concours de la nouvelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Pousse-Café, L’enveloppe, La Serrure, Basse-température). En 2017, il publie D’Ailleurs aux éditions Vide Cocagne, un album inspiré de son histoire familiale et de la guerre civile en Espagne. En 2018, sa plaquette Les dominos, réalisée dans le cadre de La Fureur de Lire s’attache également à une scène intime débouchant sur un récit à teneur historique. En 2019, il illustre le recueil de poèmes L’habitude (presque) rassurante des départs de Rony Demaeseneer (éditions Éléments de langage).
Dans les textes de l’une et dans les dessins de l’autre, les gestes sont apparents, le mouvement est tangible, les tremblements possibles. Dans leurs œuvres proposées pour la campagne, l’enfance est au cœur du processus, mais toujours porteuse de ses aspérités, jamais lissée. Entre valeurs sous-jacentes et processus en cours, ils échangent sur leurs pratiques.
Une fois que vous avez appris que vous étiez sélectionnés, comment avez-vous commencé à cogiter à la commande reçue ?
Claire Deville : J’étais très heureuse d’être reprise dans la campagne et puis j’ai vu le délai et j’étais effrayée (rires). C’était très court. J’étais en vacances avec ma fille qui avait neuf mois – autant dire que ce n’était pas tout à fait des vacances. Je me suis demandé comment j’allais arriver à écrire… ou dormir ! Mais c’était très excitant de devoir sortir quelque chose de moi si rapidement.
Alain Munoz : Je suis un « vieux jeune auteur ». Cela fait 20 ans que je travaille avec des enfants dans l’ASBL le Caméléon Bavard et pendant 5 ans que j’ai accepté d’assurer la co-coordination de cette association. Depuis quelques années, je me pose la question de la part à consacrer à mon travail artistique. Il y a un ou deux ans, j’ai décidé de me remettre à l’animation et d’abandonner la co-coordination – il y a toujours une part de risque dans ce genre de choix, et une perte de salaire… c’est un retour au réel. Quand j’ai reçu la réponse positive de Lisez-vous le belge ?, j’y ai vu le signe que j’allais dans la bonne direction. J’étais donc très content. Ce n’est pas tant le délai qui m’a posé question. Je me suis surtout réjouis d’avoir acheté un IPad pro peu de temps auparavant. Je travaille sur ordi, donc sans cet outil portable, j’aurais été contraint de rester à Bruxelles alors que je n’avais pas vu ma famille dans le Sud depuis longtemps. Je ne suis pas tant habitué à la commande…. J’avais vu les images de l’année précédente et beaucoup tournaient autour du retour à soi. Au vu de mon travail avec les enfants, je me suis rendu compte que le livre, cela pouvait aussi être un moment collectif. Quand je raconte un album aux enfants, il y en a toujours un qui veut lire et j’aimais bien cette idée. Après le premier déclencheur, je trouve rapidement une vitesse de croisière.
La question de l’enfance me semble un fil rouge entre vos deux œuvres proposés pour la campagne. Le poème de Claire dresse un constat amer du monde tel qu’il est et de la colère qu’on peut ressentir mais il parle aussi d’accueillir une nouvelle vie dans ce cadre-là. Dans l’image d’Alain, on constate tous les enfants ne sont pas attentifs mais celui qui lit est stoïque, concentré et debout. Il y a chez lui une forme de résistance à la distraction. Avez-vous l’impression que vos pratiques (écrire, dessiner, créer) demandent un certain courage ?
Alain Munoz : Je pense que l’illustration est une forme de résistance mais pour ce qui est du courage, je ne sais pas… pour moi, le dessin a toujours été une béquille – psychologique ou même physique. Il a toujours été là pour me recentrer sur moi-même. La seule fois où je me suis senti vraiment tout seul, c’était parce que je m’étais foulé le poignet et que je n’ai pas pu dessiner pendant deux mois. Mais ça m’a fait du bien, cela m’a permis de me rendre compte de ma chance ! Ce n’est pas toujours évident financièrement, il faut parfois se battre contre vents et marées, mais ce que j’en retiens, au final, c’est toujours du plaisir ! En ce qui concerne la matière-même des récits ou des histoires, j’ai un engagement – que je n’appellerais pas politique – ou en tout cas des valeurs qui me semblent importantes. Elles étaient au départ inconscientes mais elles deviennent de plus en plus prégnantes. C’est aussi pour ça qu’en bande dessinée, je n’ai jamais beaucoup travaillé à la commande, ni fait de scénarios qui ne me plaisaient pas. Même en illustration, j’ai mes limites – je ne pourrais pas travailler pour un parti politique. Ma BD D’ailleurs sur la guerre d’Espagne parle de l’anarchisme et du communisme et de la résistance antifasciste mais ce sont plus les personnages à contre-courant qui me touchent et que j’ai envie de mettre en avant.
Claire Deville : Je rejoins complètement ce que dit Alain sur un engagement qui est peut-être inconscient et qui au fil des années se politise plus ou se précise plus. C’est ce qui m’est arrivé. Du courage, je pense qu’il en faut quand on est artiste parce qu’effectivement on est plus précaires ou sur le fil. Mais je trouve que c’est quand même un très grand terme et qu’on est surtout extrêmement privilégiés de pouvoir faire ce travail.
Claire, j’ai lu ton entretien avec Camille Wernaers pour Axelle Magazine, où tu expliquais avoir proposé un texte sur le thème des migrants à un concours de poèmes pour enfants et où tu détaillais la réaction du jury (« ce thème-là est trop dur pour le cadre »)… j’y voyais donc aussi le courage de défendre ses idées et le cran d’aborder des thèmes non complaisants.
Claire Deville : Cela reste des thèmes développés depuis mon canapé. Encore une fois, je ne crois pas que ça soit du courage, cela reste vraiment du privilège. Le courage, il est du côté de ceux qui traversent la mer et se font recevoir à coups de cailloux. C’est un terme que je ne veux vraiment pas m’approprier, parce que ça me paraît un peu indécent, en réalité. Mais en effet, j’avais trouvé la réaction très choquante. C’était un concours de textes pour enfants et mon texte parlait d’un sujet qui les concerne complètement ! Pour qui est-ce trop dur, au juste ? Pour les enfants qui lisent ça ou pour ceux qui se noient ? J’étais tout à fait indignée, je le suis toujours.
Vous combinez tous les deux plusieurs pratiques – Claire, la danse (ou le mouvement) et l’écriture. Actuellement tu mènes des recherches à la Cambre où tu lies les deux. Alain, suivant les albums, non seulement tu illustres mais tu scénarises également. Comment ces deux formes d’écriture parviennent-elles à cohabiter chez vous ?
Claire Deville : On me pose souvent la question et je n’ai pas l’impression que ça soit deux choses différentes. C’est comme si c’était la même création où je vais danser ce que j’écris ou surtout essayer de traduire en mots du mouvement. Le moteur de création est le même. La question du corps est toujours présente dans mes textes, même quand ils ne parlent pas de danse. J’ai toujours une préoccupation pour que ça soit très tactile et très charnel – peut-être parce que ma formation première est la danse, justement. Cela m’est naturel. Je ne sais pas si Alain ressent la même chose mais chez moi c’est parfois tellement lié que je n’arrive pas à séparer les deux.
Alain Munoz : Je vois ce que tu veux dire. J’ai bien compris comment cela peut intervenir dans ton écriture en lisant ton texte "Tous mes cheveux", où interviennent non seulement la chevelure, mais la peau, les lèvres, etc. Je le trouve intéressant parce que j’y vois un portrait dont on n’aurait pas le visage complet dès le départ. On n’y saisit que des fragments mais à la fin, on peut bien imaginer et reconstituer. Ce qui lie vraiment les choses chez moi, c’est la narration. Mon premier émoi à ce sujet – alors que j’étais encore tout petit – c’était Les trois brigands de Tomi Ungerer (ndlr : album de 1961, publié à l’École des Loisirs). Cela m’avait tellement transporté que j’ai demandé à mes parents pourquoi je n’étais pas orphelin, parce que ça aurait été cool de vivre avec ces personnages-là (rires). Je pense que je suis arrivé dans le dessin parce que j’ai eu de gros problèmes d’écriture. J’écrivais très mal et mon orthographe était mauvaise, mais je ressentais ce besoin. Dans mes premières BD, c’était très brouillon, haché, pas très compréhensible. C’est à force de pratiquer que je me suis rendu compte que le dessin ça allait et que l’écriture ça allait un peu mieux. Pour moi, ce ne sont vraiment pas deux choses séparées. Même dans l’illustration pour la campagne ou dans un simple croquis, il y a une histoire sous-jacente – c’est ce qui me tient, raconter un moment. En bande dessinée, quand je collabore, je m’occupe du scénario. J’aime beaucoup ça, c’est comme si je jouais avec les Playmobils des autres.
J’aimerais que vous reveniez tous les deux sur les échos dont sont porteuses vos propositions pour la campagne. Dans l’image d’Alain, deux albums apparaissent en arrière-fond de la salle où sont rassemblés les enfants. Dans le poème de Claire, on voit notamment se dessiner ce qui ressemble à la Place du Jeu de Balle et un contraste entre la douceur supposée de l’enfance et des images qui se déformeraient et deviendraient monstrueuses…
Claire Deville : C’est bien la Place du Jeu de Balle. Il y a effectivement quelque chose de très contrasté dans l’enfance. Pour l’instant, j’écris des contes de fées. J’ai beaucoup de chance parce que j’ai participé aux ateliers à la Bellone avec Veronika Mabardi qui est une autrice et une pédagogue que j’admire vraiment beaucoup ! J’ai fait plusieurs ateliers avec elle cette année pour réécrire et travailler des textes en cours. Dans ce cadre-là, j’ai relu plein de contes de fées. Monstrueux, c’est vraiment le terme. Toi qui travailles avec des enfants, Alain, tu vas peut-être me rejoindre. Il y a une espèce de fantasme qu’ont les adultes sur le monde merveilleux de l’enfance. Moi je n’ai pas du tout que des souvenirs idylliques. Certains sont hyper durs. Il y a aussi toute cette tendance à les dépersonnaliser, notamment les bébés, qu’on juge parfois comme de petits objets que les gens veulent toucher… C’est hyper effrayant. J’ai notamment relu Peter Pan, et c’est glaçant – le personnage a tout d’un psychopathe. Dans mon texte, il y a à la fois ces petites ritournelles mais aussi ces images flippantes ajoutées à un imaginaire de films d’horreur très populaires avec le pantin – on pense à Chucky ou Ça.
Alain Munoz : Je vois tout à fait ce que tu veux dire, Claire ! C’est un domaine qui m’intéresse beaucoup puisque je m’intéresse aux histoires, à la dramaturgie, à la narration et c’est vrai qu’avec les enfants, il y a vraiment deux niveaux. Ce qui les intéresse ou les attire vraiment et ce que leur donnent à lire leurs parents ou les choses pour lesquelles ils aimeraient que leurs mômes manifestent un intérêt. Cela me fait penser à une période pré-Covid ou certains parents étaient déjà inquiets et faisaient attention aux germes, en maintenant leurs enfants dans un milieu tout à fait aseptisé. Quand ils arrivaient à l’école, ils attrapaient des allergies parce que leurs anticorps n’étaient pas prêts. Du côté des histoires, je ressens la même chose : on va leur donner des albums ou des romans surtout sécurisantes, pour qu’ils n’aient pas peur. J’ai même vu un site où ils listent tous les thèmes, les dangers, les traumas possibles, la présence de gros mots, etc. On lisse complètement la matière première quand a contrario, les enfants aiment bien se faire peur – j’en reviens aux Trois Brigands, ça m’a marqué et enthousiasmé aussi pour cet aspect-là. Ils braquaient des gens, ils avaient l’air méchants (mais peut-être pas tant que ça). Je suis en train de travailler en collaboration avec Dalila, une amie, sur un livre pour enfants qui parle du deuil. Cela évoque la perte du père et comment l’enfant lui-même peut faire son processus d’acceptation de ce décès. Quand elle m’a proposé ça, je savais que ça allait être compliqué à faire passer mais je trouve ça néanmoins important que ça puisse être abordé et que ça existe. Je parle en tant qu’animateur. Je n’ai pas d’enfants et peut-être que je serais plus protectionniste si j’en avais. Je ne suis cependant vraiment pas sûr qu’il faille vraiment tout le temps les préserver – tout du moins du monde imaginaire ! Les adultes oublient parfois qu’eux-mêmes ont été enfants ou adolescents et sont passés par toutes ces étapes psychologiques. Parfois, cette dichotomie se répercute sur la façon dont mon métier est perçu. On me dit que je dois avoir de la chance de côtoyer des enfants – je voudrais les voir faire une animation avec quinze enfants surexcités dans une classe (rires) !
Claire Deville : J’admire beaucoup ce que tu fais. Et je trouve ça important, un livre sur le deuil pour les enfants. J’en connais un qui est très beau qui s’appelle Au revoir Blaireau (ndlr : de Susan Varley, chez Gallimard Jeunesse, traduction de Marie et Raymond Farré). Je pense que les contes de fées sont faits pour faire peur. Ils traitent du deuil, de l’abandon – ce n’est pas pour rien qu’ils sont atroces. Le problème, c’est davantage qu’ils sont très datés – les Walt Disney n’en parlons pas. C’est très problématique. Je me pose la question concernant ma fille entre ce qu’elle apprendra à la maison et ailleurs, mais je ne vais tout de même pas lui enlever toutes les références de la pop culture actuelle dans laquelle elle va grandir. Il me faudra peut-être simplement lui expliquer, concernant la Belle au Bois dormant que si quelqu’un que tu ne connais pas vient t’embrasser quand tu dors et te dis ensuite que c’était pour te sauver, il faut porter plainte. Dans Blanche-Neige, on la voit qui travaille gratuitement pour sept petites personnes masculines, sans compter sa belle-mère qui est évidemment sa compétitrice, etc. Tout est hyper problématique. Quand tu te mets à lire les contes de fée sous un angle féministe intersectionnel (et donc antiraciste, anticlassiste, antivalidiste, anti queerphobie etc.), le regard change. C’est abyssal, ce à quoi on est biberonnés depuis qu’on est petits.
Alain Munoz : C’est important que ces contes existent mais c’est aussi essentiel d’expliquer que c’est le reflet d’une époque. Cela permet aussi de se départir de l’idée que c’était mieux avant !
Claire Deville : Ah oui, merci (rires). C’est certes le reflet d’une époque, mais même aujourd’hui, quand on cherche des livres pour enfants, la majorité des personnages des histoires grand public sont masculins (Petit ours brun, Trotro, etc.). On pourrait ajouter que les héros sont presque tous blancs, tous valides, etc. Il existe une littérature pour enfants plus diversifiée depuis quelques années, mais elle est très chère. Qui y a accès ? Le problème se décale et devient classiste. Je pense que je suis déjà quelqu’un de privilégié, mais je ne peux pas acheter des livres à 15 euros, 20 euros.
Claire, tu citais précédemment l’accompagnement de Veronika Mabardi. Qui sont les personnes (éditeurs.trices, collaborateurs.trices, etc.) qui ont compté dans vos parcours respectifs ?
Alain Munoz : J’ai fait mes études à Saint-Luc et là-bas, j’ai rencontré Pascal Matthey et Jérôme Puigros-Puigener avec qui on a fondé en 2001 Habeas Corpus, un label d’auto-édition. Cela m’a permis de publier mes premiers livres et c’était important pour moi à une époque où mon travail n’était pas encore parfaitement abouti. En ateliers, je crois à une pédagogie de l’échec. On apprend davantage en produisant des œuvres intermédiaires, en se trompant et en recommençant qu’en passant dix ans à tenter de sortir le chef-d’œuvre absolu. Ces travaux de début de parcours n’auraient pas été édités ailleurs mais ça m’a permis une confrontation à un public. J’ai pu mieux saisir ce que les lecteurs comprenaient ou pas et cela m’a fait évoluer. Une fois qu’on a fait 10 ou 15 livres ou fanzines, on s’améliore forcément, le dessin devient plus assuré. Tout cet entourage de la microédition m’a motivé à persévérer à faire des choses. La plupart d’entre eux ne se reconnaissait pas dans les façons de voir ou de faire des gros éditeurs. Je viens du Sud de la France, donc Bruxelles en soi était déjà une chouette rencontre, parce que c’est une ville peuplée de gens qui prennent la bande-dessinée au sérieux. J’ai eu un vrai coup de cœur, cela fait vingt ans que j’y vis, heureux de la culture alternative qu’on y trouve. J’habite dans les Marolles et rien que dans ce quartier populaire, il y a deux librairies, L’Imaginaire et Météores. Ils font de vrais choix pour leurs tables.
Claire Deville : Moi aussi je vis vraiment à Bruxelles par choix, c’est devenu ma ville et je trouve que j’ai beaucoup de chance. Je rejoins Alain : il y a un environnement vraiment super riche culturellement ici. En plus de Veronika Mabardi, parmi les autrices qui comptent dans mon parcours, j’ai envie de citer Lisette Lombé. Je collabore avec elle parce que j’ai obtenu une bourse de la Scam pour qu’elle soit la relectrice de mes prochains textes. Vraiment, je suis extrêmement heureuse qu’elle ait accepté parce qu’elle est très occupée. C’est quelqu’un que j’admire beaucoup et elle a un œil formidable. Il y a d’autres personnes qui m’inspirent ou dont le travail m’impressionne mais qui ne sont pas nécessairement des personnalités du monde littéraire, comme la réalisatrice belgo-marocaine Fatima-Zohra Ait El Maâti qui est une des co-fondatrices d’Imazi.Reine. Je trouve que ses prises de parole et ses positions sont brillantes et elle a seulement 25 ans. J’apprends beaucoup à chaque fois qu’elle ouvre la bouche. Elle est depuis peu coordinatrice de Darna, la maison des cultures maroco-flamande et je suis très heureuse de ça.
Claire, tu as été accueillie en résidence à Passa Porta. Est-ce que cette opportunité était porteuse dans ton cas ? Et toi Alain, as-tu eu l’occasion de faire ce type d’expérience ou d’autres du même type qui remettraient le livre et les pratiques au centre?
Alain Munoz : Avec la pandémie, on s’est vraiment aperçus de l’importance des moments de rencontres et des salons. Ce sont vraiment des occasions de tisser du lien, de réseauter, de croiser nos pairs ou des gens qui voient les choses de la même manière que nous. J’ai été longtemps dans l’auto-édition donc c’était presque aussi le seul endroit où on pouvait distribuer nos livres. Ces périodes-là ont toujours été importantes pour moi : chaque fois que je reviens d’un festival, j’ai encore davantage envie de dessiner, de monter plus de projets. De gros festivals comme Angoulême sont très énergivores, presque des rouleaux compresseurs mais on peut y voir des expos inspirantes et rencontrer des auteurs et des autrices qu’on n’aurait jamais l’occasion de croiser autrement. Les résidences me paraissent quelque chose d’intéressant, mais jusqu’à présent, mon emploi du temps ne m’a jamais permis de postuler. Mais dans le futur… qui sait ? Des amis qui ont cette opportunité en sont sortis transformés, donc ça fait envie !
Claire Deville : Pour ce qui est de Passa Porta, je suis très heureuse parce que j’ai pu faire ça en plusieurs temps, donc une semaine en octobre. Les résidences, ce sont des conditions de travail formidables quand on est auteurice ou illustrateurice parce qu’on peut mettre le reste sous cloche pendant un moment, et avoir un vrai espace – physique et symbolique – pour travailler. C’est d’autant plus super avec un enfant en bas âge, parce qu’autrement, quand on est chez soi, on est rattrapé·e·s par la domesticité. Avant, mon souci, c’était d’être déconcentrée, et d’aller voir ce qui se passait à la fenêtre… maintenant c’est de faire des purées. Il y a une forme de quotidien dont il est très difficile de s’extraire. Chambres d’écho avec Veronika Mabardi à la Bellone, c’était aussi une formidable solution pour travailler ensemble, parce qu’ils sélectionnent six ou huit personnes. On présente toutes et tous nos textes. Ensuite on a des retours des professionnels et des pairs. Chacun a l’occasion d’avancer de son côté et on réorganise des sessions deux mois après pour faire écouter les nouvelles versions, etc. C’est vraiment un processus collectif génial, qui permet aussi de découvrir le travail d’autres personnes. Voilà le double mouvement parfait : la résidence pour s’isoler et le cercle restreint où peuvent avoir lieu des retours critiques très efficaces. Veronika Mabardi disait que c’était pas mal d’aller à la résidence de Mariemont en novembre, comme ça on n’était jamais détourné de son travail, parce qu’il n’y a rien autour et qu’il pleut, donc impossible d’aller se promener en forêt (rires). C’est comme une façon de s’auto-piéger.
Auriez-vous envie de faire ricocher un ou deux livres d’auteurs.trices belges francophones qui vous auraient aidés à tenir debout ?
Claire Deville : Je pense de suite à Caillasses de Joëlle Sambi qui vient de sortir… je vais faire ricocher ce recueil-là parce que je pense que grâce à lui, le monde est un peu meilleur.
Alain Munoz : Cela fait quelques années que je travaille sur une BD qui se passe en Espagne dans les années 50, sous le franquisme et j’ai donc développé un rapport à la lecture qui est documentaire. J’espère revenir un peu au roman bientôt ! La dernière fois où une œuvre belge a vraiment provoqué quelque chose chez moi, c’était une exposition sur Léon Spilliaert doublée d’une conférence. Comme je m’intéresse de plus en plus à comment faire passer des émotions avec le dessin, je fréquente beaucoup les expositions et une image suffit parfois à amorcer quelque chose de neuf ou à tout débloquer.