Alain Munoz est auteur de bandes dessinées et illustrateur.
Je suis originaire du sud de la France, d'aussi loin que je m’en souvienne, j'ai toujours aimé les histoires. Je n'étais encore qu’un enfant quand j'ai découvert « Les trois brigands » de Tomi Ungerer. J’étais fasciné par l’histoire de cette petite fille qui se retrouve en compagnie de brigands, et qui arrive à les persuader d’accueillir dans leur château des orphelins. Je me souviens même avoir demandé à mes parents pourquoi moi, je n’étais pas orphelin. Ça avait l’air chouette de vivre dans le château des Brigands.
Puis, en grandissant, les personnages ont changé, ils sont devenus plus costauds, plus héroïques: ils combattaient le mal avec la certitude absolue de faire le bien. Plus tard encore, je me suis rapproché de nouveaux protagonistes qui se posaient plus de questions, qui se demandaient pourquoi ils existaient, si l’univers avait un sens.
Mais qu’il s’agisse de super héros ou d’un chien philosophe qui regarde son maître de petit garçon déprimer, ils avaient tous un point commun: ils faisaient partie d’un univers, une diégèse comme diraient les dramaturges. Et surtout, il y avait un auteur ou une autrice au début de tout cela. Alors moi aussi je voulais créer mes propres histoires. Bien sûr, je le faisais déjà en jouant avec mes figurines, mais je voulais garder une trace de mes histoires; je voulais pouvoir les lire plus tard. Alors j'ai écrit, mais l’écriture comme me le faisait remarquer l’école tous les jours, ce n'était pas mon fort: j’écrivais comme un chat, et j'avais l'orthographe d’une vache espagnole (expression courante dans la France du sud dans les années 80). J’ai alors pensé au cinéma, qui m'apportait son lot d'histoires et d'aventures dans les salles obscures, et plus tard sur les VHS * que collectionnait ma mère. J’avais le même rituel tous les mercredis après-midi: je rentrais dans le salon aux murs tapissés d'étagères, qui chacune portait des dizaines et des dizaines de films, autant de portes qui ouvraient sur des univers tous plus ou moins fantastiques. Un univers tout entier rempli d'histoires.
Mais à l'époque où les smartphones et leurs caméras numériques n’existaient pas, il fallait investir pas mal d'argent que nous n'avions pas. J'ai découvert alors la BD. J'avais 11 ans, et j'ai su qu’elle allait me suivre toute ma vie. J’ai donc abordé la BD par les histoires, le dessin, lui, a été accessoire dès le début. Il était considéré “brouillon” pour certains, “plein de force” pour d'autres, mais il faut dire que je ne m’en préoccupais pas trop. Du moins un temps, j' ai vite compris que si je voulais faire de la BD un jour, il allait bien falloir dessiner un peu correctement. Du coup je suis allé à Carcassonne pour passer un BAC artistique et littéraire, j' ai donc dessiné et j’ai commencé aussi à lire des classiques: ça a été Camus, Zola et leurs potes qui m’ont marqué; encore des histoires… Puis le bac en poche, je suis allé en section : « Histoire de l’art » à Toulouse, où il faut bien avouer que les études étaient un peu secondaires. Je passais mon temps à dessiner en cours, sortir le soir, courir les dédicaces de mes auteurs favoris, et continuer à dessiner. Puis il y a eu le temps de l’armée: en France, le service militaire était encore obligatoire. Et après ça, le vide, que faire de ma vie ? Je ne pouvais plus dessiner sur le côté, je fuyais les gens qui me disaient que la BD ce n’est pas un métier, que c’est juste un hobby, un passe-temps. Alors sur les conseils d’un ami, je suis parti pour Bruxelles.
Cela fait maintenant plus de 20 ans que je suis ici, et que je partage ma vie entre les ateliers que j'anime, les cours que je donne et la BD.
Bien sûr elle n'occupe pas toute ma vie, mais elle n’est pas à côté. Je dirais même que les ateliers et les cours sont un prolongement de ma pratique artistique, ou alors c’est peut-être l’inverse. C’est difficile de savoir ce qui maintient qui quand on est en équilibre.
VHS* : pour tous ceux et toutes celles qui sont trop jeunes pour savoir ce qu’est une VHS (Vidéo Home Système): c’était pour nous, enfants du passé, le cinéma à la maison mais avec à la fin une petite activité supplémentaire: «le rembobinage. »