Diplômée en illustration de l’ESA Saint-Luc (Bruxelles, 2015), Noelia Diaz Iglesias est aussi formée à la reliure à l’académie des Beaux-arts de Saint-Gilles et détentrice d’un master en BD (ESA Saint Luc). Un ouragan dans la barbe !, publié par Maison CFC en août 2021, est son premier album. Elisa Sartori a commencé ses études à l’académie des Beaux-Arts de Venise puis à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles l’Arba-Esa au sein de l’atelier d’illustration. En 2015, elle a co-créé avec Almudena Pano le collectif de street art 10eme Arte, avec lequel elle a pu réaliser plusieurs œuvres dans les espaces urbains dont récemment à Bozar pour le Picture Festival. Son leporello Je connais peu de mots est paru aux éditions CotCotCot en février 2021 et vient de remporter le prix de la première œuvre de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Chanson, fiction, poésie, podcast sont les terrains de jeu d’Alexis Alvarez. Auteur d’un premier livre en 2014, Exercices de chute (collection If à l’Arbre à Parole), il a récidivé en 2018 avec Une année sans lumière (éditions Tétras Lyre). Actif dans le milieu musical, notamment avec le projet Puce, il officie aussi en tant que traducteur et journaliste pour la presse belge.
Si nos trois interlocuteurs du jour sont belges de naissance ou de cœur, ils portent aussi en eux d’autres couleurs, d’autres musicalités et des façons différentes de conjuguer leur identité. Décadre-t-on le regard quand on a baigné sous d’autres cieux ?
Quand vous avez reçu votre commande pour Lisez-vous le belge ? Comment s’est mis en place votre processus de création ?
Alexis Alvarez : Il y avait plusieurs pistes proposées et elles m’ont donné envie de parler de mon premier achat de livre important ! C’est une anecdote qui pourrait sembler banale – comme tout peut l’être dans nos vies – il fallait donc essayer de rendre ce moment plus accrocheur, en l’articulant avec d’autres éléments.
Elisa Sartori : Pour moi, c’était plus évident – quand j’ai participé à l’appel à candidatures, une des trois illustrations que j’ai envoyées était une couverture d’un livre écrit quand j’étais encore à l’école. Il raconte l’histoire de deux sœurs dont une a des problèmes de lecture. Sur mon dessin, on voit des plantes qui recouvrent son visage. Les retours de l’équipe de la campagne étaient positifs sur cette image, donc j’ai creusé dans le même esprit, avec l’envie de rendre cette illustration un peu plus adulte. J’ai ajouté des éléments dont un fond qui est inspiré des serres de Laeken mais sans que la référence soit non plus trop appuyée. C’est un lieu calme, clos mais entièrement vitré, donc un jeu entre l’intérieur et l’extérieur était possible. Cela me paraissait assez poétique.
Noelia, nous avions reçu de ta part, à l’étape intermédiaire, plusieurs croquis qui explicitaient ta démarche, peux-tu évoquer ta façon de procéder ?
Noelia Diaz Iglesias : J’ai réfléchi aux endroits où j’aimais lire quand j’étais petite. C’était principalement dans les transports en commun. J’ai fait plusieurs recherches pour ancrer le personnage dans un moyen de transport. De fil en aiguille, j’ai imaginé que le métro devenait la porte ouverte du livre vers plein d’univers. J’ai fait plusieurs clins d’œil à des auteurs ou à des livres que j’apprécie. Par exemple, le marque-page est un loup qui rend hommage à ceux de Mario Ramos.
Alexis et Noelia, vous avez tous les deux une famille d’origine espagnole. Elisa, tu viens d’Italie et es installée à Bruxelles depuis plusieurs années. Avez-vous l’impression que cette identité particulière (double ou décentrée) a des impacts sur votre façon de créer ?
Noelia Diaz Iglesias : Je suis née en Belgique, j’ai toujours vécu ici, tout comme ma mère. Sur sa carte d’identité, en revanche, elle est espagnole. Mon père est arrivé à 12 ans. Nous sommes plus belges qu’espagnols dans la vie de tous les jours. Je suis très peu au courant de ce qui se fait là-bas en matière de littérature, d’ailleurs. En revanche, je tiens à mon double nom de famille, même si les gens oublient souvent la deuxième partie. Je ne suis pas juste l’un ou l’autre : Diaz correspond à mon papa et Iglesias à ma maman et ça a été un parcours administratif compliqué pour que je puisse porter ces deux patronymes-là.
Alexis Alvarez : Je suis dans la même situation familiale que Noelia, mais je vis ça différemment. Notre hispanité a toujours été affirmée, malgré le fait que nous étions, nous aussi, sans doute plus belges qu’espagnols. Nous avons toujours regardé la télé en espagnol, nous allions très souvent là-bas. J’ai donc toujours gardé une sorte de décalage, de sentiment d’étrangeté par rapport à la Belgique. J’ai parfois une relation conflictuelle - ou en tout cas une distance - avec ce territoire. Je lis aujourd’hui beaucoup plus en espagnol qu’en français. Ça me nourrit d’une autre façon. C’était déjà le cas au moment de la rédaction d’Exercices de chute et d’Une année sans lumière. J’ai travaillé en Espagne et étudié la littérature hispanique plus en profondeur – ça m’a réellement donné un éclairage. Si je n’avais eu que le français dans ma vie, je n’aurais probablement jamais écrit en français, voire pas du tout. Concernant la question du double nom, mon premier livre porte Alvarez Barbosa sur la couverture. J’ai fini par renoncer à « Barbosa » pour la publication d’Une année sans lumière, pour des raisons pratiques. Quand un livre comporte deux noms de famille, on hésite toujours sur l’endroit où le classer.
Elisa, considères-tu qu’il y a une part italienne dans ton travail ? Tu as fait une partie de tes études à Venise, je crois…
Elisa Sartori : Répondre à cette question est vraiment complexe ! (rires) Cela fait neuf ans que j’habite en Belgique et j’ai terminé mes études ici donc je me sens vraiment adoptée par le pays. J’ai la chance d’avoir les deux territoires pour me nourrir de références. Je n’ai pas passé beaucoup de mon enfance en Italie – nous avons habité en Egypte et au Congo quand j’étais petite, mais les auteurs de jeunesse que ma mère me lisait étaient italiens. En faisant mes études d’illustration ici, j’ai appris à connaître les auteurs belges ou français. Je pense qu’il doit y avoir un côté italien dans mon travail, mais je ne sais pas vraiment l’identifier précisément. On me donne souvent ce retour dans les entretiens, mais j’ai un accent à couper au couteau donc c’est sans doute facile de dire que mes illustrations sont italiennes. Les études que j’ai faites ici n’existent pas de façon aussi qualitative en Italie, je n’aurais sans doute pas d’aussi belles propositions pour travailler dans l’illustration là-bas non plus. Et c’est la même chose aussi dans le domaine du street art. Je suis extrêmement reconnaissante qu’on me donne, dans ce pays, la possibilité de faire ce métier. Je vais rester ici, si vous voulez bien ! (rires)
Vous avez aussi tous les trois un intérêt pour les langues… Alexis est professeur d’espagnol et traducteur. L’album d’Elisa, Je connais peu de mots (CotCotCot Éditions), interroge la difficulté d’apprentissage d’une langue étrangère. Et celui de Noelia, Un ouragan dans la barbe (Maison CFC) fait intervenir la langue des signes puisque le grand-père d’Hugo, le héros, est sourd.
Elisa Sartori : Tous les livres que j’ai écrits à l’école – je n’en ai jusque-là publié qu’un – ont une part autobiographique. À mon arrivée ici, cet apprentissage du français était vraiment la chose sur laquelle je devais me concentrer. C’est pour cette raison que j’avais envie d’en parler. Je participe aussi à un projet coordonné par la Direction de la langue française, La plume au bout de la langue qui rassemble plusieurs auteurs et autrices qui viennent faire des interventions créatives auprès d’un public d’apprenants du français. On m’a proposé de faire des ateliers à partir de mon album – je suis enseignante, donc je me sens à l’aise avec l’exercice. Dans Je connais peu de mots, la lecture est circulaire, on peut recommencer l’histoire à l’infini et l’enjeu de ce moment avec les élèves est donc de créer des récits en boucle.
Noelia Diaz Iglesias : Dans mon album, la thématique de la difficulté de communication entre les personnages est venue au fur et à mesure du travail. Cet album est connecté à mon mémoire de reliure artistique. En faisant des recherches, j’ai découvert que la plupart des relieurs du Moyen Âge étaient sourds-muets – c’était à l’époque une question « pratique » : on ne voulait pas qu’ils puissent lire les ouvrages qu’ils reliaient. J’ai trouvé ça intéressant et c’est comme ça que j’ai eu envie que le grand-père d’Hugo ait cette caractéristique. Je trouve toujours ça très puissant, impressionnant de voir des sourds-muets discuter et signer. Pour ce qui est des situations conflictuelles et d’incommunicabilité entre les différents personnages, elle s’inspire aussi des distances générationnelles que j’ai pu voir ou expérimenter dans ma famille.
Alexis, as-tu déjà été tenté de faire apparaître l’entre-deux des langues dans tes textes ? De créer des poèmes qui intègreraient de façon marquée le lexique espagnol ? Tu y fais déjà apparaître une forme de mondialisation, avec des noms de marques très affichés…
Alexis Alvarez : Je n’ai jamais tenté d’intégrer l’espagnol dans mes poèmes, mais il m’arrive parfois d’écrire des chansons dans cette langue. J’ai aussi créé des morceaux où l’anglais et le français se mélangeaient. Quand on vit dans une situation de bilinguisme, qu’on a le choix entre plusieurs nuances pour s’exprimer, les mots deviennent comme des couleurs qu’on peut utiliser à sa guise. On se rend compte qu’ils peuvent vraiment être beaux ! J’adore être baigné dans des sonorités différentes, je me rends surtout compte de ça quand je voyage. Si à Rome tout le monde parlait anglais, ça ne m’intéresserait pas d’y aller.
Vous avez tous les trois un ou deux ouvrages personnels publiés. Avez-vous des anecdotes à ce sujet ? Ou envie d’évoquer des liens particuliers qui se sont noués à ces occasions-là ?
Noelia Diaz Iglesias : Je n’y croyais pas trop quand j’ai reçu la confirmation de publication de Thomas Keukens de Maison CFC – c’était en pleine pandémie ! Le rendez-vous avait été reporté de trois mois, je pensais que c’était tombé à l’eau. Pour moi, paradoxalement, la période du Covid a été un très chouette moment. Cette bonne nouvelle venait contrebalancer tout le reste. Le livre que je leur avais proposé était déjà presque complètement abouti, mais il était en noir et blanc. La plus grosse partie du travail a donc été de le mettre en couleurs. Le regard de l’éditeur a été précieux : j’avais tendance à vouloir utiliser trop de tons différents et il a réussi à me canaliser en me proposant de m’en tenir à une gamme pour l’entièreté de l’album. Quelques planches ont aussi été retouchées pour fluidifier le scénario et enlever des éléments qui ne servaient pas la narration. En plus d’être passé du noir et blanc à la couleur, l’objet final est aussi beaucoup plus petit que les planches originales – ça crée une sensation étrange, pour moi (sourire).
Alexis Alvarez : Exercices de chute, mon premier recueil, a été publié à l’Arbre à paroles. Je connaissais déjà Antoine Wauters, qui dirige la collection If et le parcours de publication a renforcé notre lien amical. Il m’a vraiment beaucoup encouragé à lui proposer des textes. Il avait connaissance de mon parcours musical, savait que j’écrivais par ailleurs et il a vraiment joué le rôle d’incitant. Une fois que mes poèmes ont été accepté, il n’a pas été très interventionniste, nous avons peu retravaillé sur la matière-même. Nous avons simplement discuté ensemble de la mise en page. Aujourd’hui, nous sommes toujours très proches, il a été une personne-pivot dans mon parcours.
Elisa Sartori : J’ai publié Je connais peu de mots chez CotCotCot Éditions grâce à Odile Flament. C’est une personnalité incroyable ! En tant qu’éditrice, elle a pris pas mal de risques avec mon livre, parce que c’est un objet un peu particulier, un leporello. Un tel format a notamment un coût, parce que ce n’est pas aussi facile à produire qu’un album traditionnel. Il n’est pas non plus nécessairement évident à classer. On a indiqué la mention « à partir de 6 ans », mais ça s’adresse aussi aux adultes. Je lui suis énormément reconnaissante. Elle m’a accompagnée pour que mon texte sonne plus juste. Pour les illustrations, elle a fait preuve de beaucoup de patience ! Je lui ai soumis beaucoup de dessins intermédiaires, je n’étais jamais satisfaite. Elle m’appelle la Japonaise, parce que je suis aussi méticuleuse (ou maniaque !) que Marie Kondo (rires) ! C’était vraiment très chouette de travailler avec elle : elle est réellement à l’écoute et surtout elle m’a attendue – ça n’arrive que rarement, ce rapport inversé du timing, avec un éditeur ou une éditrice. Elle avait bien compris qu’il ne fallait pas me contraindre à un rythme qui n’était pas le mien – elle respectait tout à fait que mes pratiques de street art et d’enseignement me prennent aussi du temps.
Avec Almudena Pano, tu as fondé le collectif 10ème Arte, ce qui t’amène souvent à travailler sur de très grands formats et dans l’espace public.
Elisa Sartori : Nous étions toutes les deux en formation d’illustration et nous avons eu cette idée il y a déjà sept ou huit ans. On adorait l’atelier et le fait d’être illustratrices mais on trouvait assez difficile la solitude que ce métier implique souvent. On a cherché un projet qui nous permettrait de travailler ensemble et on a imaginé qu’on allait créer des fresques. On s’est rendues compte que non seulement on adorait collaborer mais qu’on était tout à fait complémentaires - c’était un vrai coup de chance ! On est fréquemment sollicitées et on est parvenues à créer une chouette dynamique. Nos fresques ont toujours un côté narratif. On aime bien y insérer des références à l’histoire de l’art et on évolue vraiment ensemble. Le grand public imagine souvent que le rapport au format crée une vraie différence et complexité dans le travail, mais finalement, pas tant que ça. En illustration, quelque chose qui fonctionne en petit a de fortes chances de fonctionner aussi en grand et vice-versa. On a en revanche dû se former pour la partie technique mais de façon autodidacte, ou en interrogeant des collègues artistes : il n’existe pas à proprement parler de cours de street art !
Et toi, Noelia, comment trouves-tu l’équilibre entre la solitude de l’illustration et les éventuels moments de collaboration ?
Noelia Diaz Iglesias : Quand je suis sortie du cursus d’illustration, je me sentais un peu perdue. C’est comme ça que j’ai rejoint l’atelier de reliure de l’Académie de Saint-Gilles. J’ai retrouvé cette émulation que j’avais connue précédemment à l’école et qui me plaisait beaucoup. Parallèlement, j’ai fait la connaissance d’un groupe d’amis qui ont fondé le collectif 24BD à Liège. C’est de cette façon-là que je me suis intéressée à ce type de narration et que j’ai fini par suivre un master de bande-dessinée. Travailler chacun sur une même thématique, s’entraider pour les récits, c’était vraiment galvanisant et intéressant. Cela nous permettait de nous retrouver de façon régulière pour échanger, de partager du temps ensemble aux festivals. Dans un travail qui est destiné à être lu par d’autres personnes, cela fait sens de pouvoir avoir des retours de pairs en amont, plutôt que de se fier à son seul instinct, ou d’avoir des avis moins étayés (et moins critiques) de la part d’amis qui ne seraient pas du métier. Mais j’aime aussi travailler toute seule – être chez moi, dans la pièce consacrée à ça, plutôt que d’être entourée et prendre le risque d’aller voir ce que font les autres et de discuter plutôt que de travailler ! Je suis très tête en l’air (sourire).
Alexis, quelle différence vois-tu entre l’écriture de chansons et celle de poèmes ?
Alexis Alvarez : Quand j’écris des « chansons », les textes sont toujours conçus en fonction de musiques déjà existantes. Dans les chansons, l’oralité est toujours travaillée de façon immédiate – je parle, je chante, j’essaie de trouver l’un ou l’autre gimmick qui fonctionne à la voix. Dans l’écriture de poèmes, ça fonctionne très différemment. Je ne suis pas quelqu’un qui prend le pli de performer ses textes à haute voix de façon systématique pour voir s’ils sonnent juste. Un côté purement écrit prime. Les retours d’Elisa et Noelia sur le travail collaboratif sont intéressants car je me pose beaucoup de questions à ce sujet pour le moment. Je ne suis pas du tout du genre à faire lire mes textes personnels en amont. J’adore travailler seul. Je trouve qu’il y a une énergie propre à chacun. En demandant des avis extérieurs, j’ai l’impression qu’il y a le risque de la perdre un peu en chemin. Dans un groupe de musique ou dans un collectif, c’est toujours ça l’enjeu. Trois ou quatre avis vont se télescoper au sujet d’un texte, d’une œuvre qui est en train de se faire – c’est génial mais c’est aussi parfois fatigant, ça demande de nombreuses concessions. Dans les groupes auxquels j’ai participé, on travaillait essentiellement en binôme pour les premières étapes créatives et les autres membres se greffaient ensuite à cette base existante.
Sur quoi êtes-vous en train de travailler pour le moment, tous les trois ?
Noelia Diaz Iglesias : Je suis en train d’illustrer Plein phare sur les balbuzards, un récit graphique pour la maison d’édition Kilowatt. Mon travail doit être rendu pour décembre. Il s’agit d’une enquête menée par trois enfants qui partent en vacances à la plage. Ils vont aider un collectif de sauvetage à comprendre pourquoi les oiseaux finissent étourdis dans la baie. C’est différent de travailler à partir du texte de quelqu’un d’autre, mais celui de Nancy Guilbert est très évocateur, les images me sont venues de suite à l’esprit, j’ai rapidement su à quoi allait ressembler les personnages. L’éditrice, Galia Tapiero, me laisse le champ très libre au niveau du dessin.
Elisa Sartori : Avec Almudena Pano, nous donnons un module de recherche à l’Arba-Esa. Il a pour but d’apprendre aux étudiants comment répondre aux appels à projet liés au street art. On trouvait que ça manquait aux cursus actuels. On leur expose comment écrire une bonne lettre de motivation, construire un budget réaliste, avoir une gestion de projet qui tient la route dans sa globalité. Je suis assez enthousiasmée à l’idée de transmettre nos connaissances à ce sujet. Depuis un an, j’ai aussi pas mal écrit et j’attends des retours de maisons d’éditions. Je croise les doigts !
Alexis Alvarez : J’écris de façon assez constante, mais les projets longs de type romans ou récits sont vraiment problématiques pour moi. C’est une sorte de Némésis que je n’arrive pas à affronter ! (rires) J’y travaille, je les délaisse, j’y retravaille et puis je les abandonne. Ça demande une endurance, seul face au travail, que je n’ai pas. Pour garder ma motivation intacte, je privilégie davantage les projets plus courts : j'écris dans des revues, des magazines, des recueils collectifs comme La ligne blanche, publié dans la collection If. Je me sens tout à fait à l’aise dans ce format-là – non seulement c’est plus court, mais ces missions-là comportent souvent une contrainte, ne serait-ce que thématique. C’est très stimulant pour moi d’avoir déjà un cadre plutôt que de partir de rien. Je vis ça vraiment comme un challenge.
Auriez-vous envie de faire ricocher un livre belge francophone vers d’autres lecteurs et lectrices ?
Alexis Alvarez : Il y en a même deux ! Dans mon texte pour la campagne (une bonne affaire), je cite William Cliff. À l’occasion de cette commande, je me suis justement un peu replongé dans son travail. C’est un poète né en 1940, à Gembloux, près d’où sont mes propres racines belges. En relisant ses deux premiers recueils, Homo Sum et Écrasez-le, j’ai trouvé ça super fort ! Ils ont été publiés en 1973 et 1976 mais n’ont rien perdu de leur mordant. Le deuxième livre à propager se situe dans la continuité de notre discussion ensemble. C’est L’Asturienne de Caroline Lamarche, tout juste publié par les Impressions Nouvelles. Le titre fait référence à une mine que ses parents, industriels liégeois implantés en Espagne, possédaient. La plupart de ces mines implantées sur tout le littoral nord-espagnol ont été exploitées par des Belges. Ce récit pose de nombreuses questions sur les conditions de travail, notamment.
Elisa Sartori : J’en ai aussi choisi deux ! Le premier, De temps en temps, d’Anne Herbauts (Esperluète) est malheureusement épuisé mais je rêverais qu’il soit réédité ! (ndlr : le livre est en revanche toujours disponible dans le réseau des bibliothèques). C’est plutôt un texte destiné aux adultes et elle y exprime, de façon assez poétique, ce que ça signifie d’être un auteur-illustrateur. C’est un livre que je conseillerais à tous ceux et celles qui veulent faire des études ou entreprendre une carrière dans ce domaine. Un autre livre que je viens d’entamer, c’est Lisières d’Aliénor Debrocq (textes) et Philippe Mailleux (photographies) chez ONLIT Éditions. L’autrice faisait partie de mes professeurs à l’Académie des Beaux-arts. Son écriture me touche beaucoup et ici, je trouve intéressante la façon dont ses textes communiquent avec les images du photographe.
Noelia Diaz Iglesias : Parmi les BDs qui pourraient aussi convenir à la jeunesse que j’ai lues récemment, mon vrai coup de cœur, c’est Memet d’Isabella Cieli et Noémie Marsily (Employé du Moi). C’est un album muet mais on est vraiment portés par le récit, les tout petits gestes et l’ambiance colorée. C’est vraiment extrêmement touchant. Les mots ne sont pas nécessaires pour faire passer ce que les personnages expriment, le langage illustré se suffit à lui-même. C’est un exercice vraiment difficile à réussir, mais ici, il est merveilleusement abouti.