En complément des Rencontres de la webcréation #10, nous vous proposons de découvrir des projets artistiques hybrides dans différents articles. Ceux-ci font suite à l'appel à participation aux Rencontres et ouvrent le champ à d'autres disciplines (poésie, illustration, audio, etc.)

Porteuse d’une création radiophonique (Monstruations), Soline de Laveleye envisage les étapes suivantes de son projet qui se déploiera dans plusieurs langages. 

Autrice de plusieurs recueils poétiques remarqués, animatrice d’ateliers d’écriture et formée au récit de vie autant qu’à l’anthropologie, adepte des écritures plurielles, Soline de Laveleye revient avec un projet dont le premier bourgeon était à trouver en elle-même : 

“Cela a débuté par une observation personnelle : j’ai réalisé qu’il se passait énormément de choses tout au long d’un cycle menstruel et qu’il me manquait les mots, les connaissances et les interlocuteurs pour comprendre ce qu’il m’arrivait. J’ai ensuite entendu parler de ce qu’on appelle – tout le monde n’est pas d’accord avec la dénomination -  le syndrome prémenstruel, et j’ai trouvé ça énorme de potentialités.”

Ce questionnement intime l’a amenée à construire une recherche de terrain plus ample et à rencontrer des personnes réglées (toutes ne s’identifient pas comme « femmes ») de tous les horizons. À l’époque, elle vivait à Jérusalem et avait donc accès à une très grande diversité culturelle et sociale. 

De là est née l’envie de conceptualiser un projet qui pourrait se décliner en plusieurs langages. Le premier pan du travail a été consacré au son et a obtenu un budget du FACR (Fonds d’Aide à la création radiophonique), pour une co-production entre Across Stickos et l’acsr (Atelier de Création Sonore Radiophonique). Pour l’autrice, c’est un cadre d’accompagnement qui s’est avéré porteur pour se fixer des étapes claires de travail et permettre à la matière de se déployer.  

Le documentaire (deux épisodes de 50 minutes), au beau titre polysémique de Monstruations, devrait être à découvrir sur les ondes dans les semaines qui viennent, avec déjà cinq ou six promesses de diffusion dans des radios non publiques (comme Radio Campus ou Radio Panik). Soline de Laveleye espère aussi que son travail circulera grâce aux réseaux féministes. Si pour cette création elle se positionne comme artiste et autrice  – avec comme ligne de trame celle de continuer à agir spontanément en poète et d’interroger les mots, leurs définitions et étymologies ou de jongler avec leurs assonances – ses questionnements amples et le fait de donner voix à des personnes sur ce vécu à la fois personnel et universel trop souvent invisibilisé devraient sans aucun doute intéresser les cercles militants.  

Pour le deuxième volet qu’elle envisage, elle est non seulement en quête de financements mais aussi d’interlocuteurs ou d’interlocutrices avec qui penser une interface qu’elle rêverait participative : “le numérique permettrait de passer à travers des frontières qui sont prégnantes, d’aller au-delà des microcosmes belges francophones. On a tout à gagner à donner à l’initiative une dimension internationale : il y a bien sûr un vécu commun mais aussi des divergences dans cette expérience. Je suis pour un féminisme inclusif et intersectionnel.”

En s’appuyant à la fois sur le lien – qu’on nomme parfois sororité - et  sur la puissance de la poésie (“par essence un rapport subversif au langage”), mais aussi sur son expérience d’animatrice et sa formation en récits de vie, elle sait combien poser les mots sur un vécu peut s’avérer cathartique voire thérapeutique, rendant poreuses les frontières de l’art, du soin et du politique. 

À travers une plateforme commune, elle souhaiterait donc stimuler des échanges épistolaires (de préférence sur papier, avec une tangibilité que n’a pas le numérique – deux approches qui semblent pouvoir se combiner dans ce cadre précis) entre personnes menstruées grâce à des amorces (dans l’esprit des propositions d’ateliers d’écriture). Ces incitants seraient à puiser dans une deuxième partie de sa recherche, pendant laquelle Soline de Laveleye compte rencontrer des spécialistes de tous types - du monde académique et scientifique (endocrinologue, biologiste, etc.), mais aussi d’autres expert.e.s de pratiques diverses, sportives ou spirituelles (du chamane à la musicienne). À toutes et tous serait posée cette question : “Quelle est donc cette métamorphose que je vis mensuellement ? ”. Au-delà de son propre vécu et des résultats de cette seconde enquête qu’elle souhaiterait publier sur cette plateforme, l’artiste a encore du matériau d’entretiens collectés dans le cadre de sa création sonore à déplier. 

Elle nous dit aussi combien Jérusalem a été un terreau fécond pour façonner la première partie de son projet : “En tant que capitale plus ou moins revendiquée des trois monothéismes, la ville est vraiment un catalyseur. C’est le lieu du patriarcat sociologique par excellence. La question du tabou y est très présente, mais c’est intéressant de voir que d’autres personnages de la création sonore que ceux connectés à la ville n’y échappent pas, comme une Américaine, par exemple.”

Comme nous le précise l’autrice, pour une certaine frange du féminisme américain des années 70-80, parler des règles revient à basculer de nouveau du côté du sexe faible ou à ramener les femmes à leur biologie (de l’utérus à l’hystérie, il n’y a qu’un pas) et c’est donc mal considéré. Naviguer sur cette question doit donc se faire en nuances : “Comment parler d’un vécu, le rendre audible, le désinvisibiliser, retirer la couche de déni et de honte sans donner prise à l’essentialisation ? Il s’agit vraiment de réinventer un langage pour en parler ! Dans le titre Monstruations, il faut voir le monstre comme une créature prodigieuse, le lieu d’une possible subversion ou émancipation.”
 

Pour que le projet continue avec fluidité sa route Soline de Laveleye est à la recherche :

  • De financements
  • D’un cadre ou de partenaires de co-production
  • D’un développeur / d’une développeuse web pour penser la forme collaborative de la plateforme
  • D’éventuels exemples d’interfaces qui se déploieraient sur un principe similaire

© Illustration réalisée par GDL