La poétesse et animatrice d’ateliers d’écriture Anne Guinot (On ne s’excuse de rien avec le collectif L-Slam, chez Maelström, Un si profond silence, à L’âme de la colline) et l’auteur-illustrateur et graphiste Ian De Haes (récemment Et toi, ta famille ? et Cette nuit, on part en vacances, deux albums écrits par Charlotte Bellière chez Alice Éditions) ont, grâce à leurs réalisations pour cette campagne, redonné un sens essentiel aux livres qu’on transporte avec nous et posé un halo de lumière réconfortante au cœur de la foule.
Parlez-moi de vos premières expériences éditoriales… Comment s’est passée la prise de contact, quel type d’accompagnement vous a été proposé ?
Ian De Haes : Dans mon cas, ça date déjà d’il y a dix ans. L’idée de faire des livres pour enfants était déjà présente bien avant, même si, quand j’étais ado ou même pendant mes études d’illustration, je n’étais pas certain de choisir cette voie-là. J’ai travaillé comme libraire jeunesse pendant dix ans, à la Fnac, et j’ai découvert tout l’univers de l’album et du roman pour enfants et petit à petit je me suis dit que je ferais bien moi-même un livre, que ça serait chouette d’allier ma passion du dessin et mon travail de l’époque. Mais j’avais déjà essayé d’écrire plusieurs histoires moi-même et je n’y arrivais pas. J'avais des débuts d'histoires, des milieux d'histoires mais pas la fin. C'était très compliqué ! J'ai ensuite rencontré ma compagne actuelle, Charlotte Bellière qui est prof de français et qui, elle, a toujours adoré écrire – mais juste pour elle, sans idée nécessairement d’être éditée. On a allié nos forces dans l’idée d’essayer d’être publiés.
Quelle était l’étape suivante ?
Ian De Haes : Charlotte a écrit une histoire toute simple, comme ça je pouvais l’illustrer relativement rapidement. On l’a imprimée nous-mêmes entièrement et envoyée à 10-15 éditeurs, dont Alice Jeunesse, que je connaissais un peu, notamment grâce à leur livre best-seller La grande fabrique de mots d’Agnès de Lestrade, grâce à mon travail. On a eu des refus de plusieurs autres éditeurs, mais Alice nous a répondu positivement – on était super contents. À l’époque, c’était Michel de Grand Ry l’éditeur, pas encore Mélanie Roland. On se retrouvait tout à fait de l’autre côté de la chaîne du livre par rapport à mon travail de libraire, on découvrait au fur et à mesure des choses auxquelles on n’avait pas pensé. On a dû retravailler pas mal d’illustrations pour arriver au bon nombre de pages. On a dû changer le titre pour en trouver un plus accrocheur, etc. Le livre J’ai perdu ma pantoufle est sorti un an plus tard. Depuis, tous mes albums et ceux en collaboration avec Charlotte sont toujours chez Alice. On est très heureux d’être accompagnés par eux et ce qui est chouette, c’est qu’à l’époque, Mélanie Roland venait de commencer chez Alice Éditions. Le premier manuscrit qu’elle a choisi, qu’elle trouvait sympa, c’était le nôtre ! Maintenant elle est directrice de la maison, et notre collaboration fructueuse continue : on se connaît bien. Il y a une vraie relation de confiance – elle a grandi au sein de la maison et nous aussi.
On sait qu’il y a aussi chez toi, Anne, une importance à tisser du lien – c’est comme ça que tu te définis, « tisseuse de liens ». Est-ce que ta première expérience éditoriale s’est fait aussi de cette façon?
Anne Guinot : C’est chouette que tu mentionnes cette appellation, parce que oui, il y a de ça. Mes expériences éditoriales sont assez récentes, parce que pendant assez longtemps, j’étais plus dans le domaine de l’oralité, même si je viens de l'écrit, que j'ai fait des études de lettres, et que j'étais prof de français et de langues anciennes. Ma toute première expérience c’était dans un recueil collectif, et donc là, il y a effectivement cette notion de lien. C’était avec L-Slam, pour On ne s'excuse de rien. Le poème Indomptables y a été publié. Mais dans ce cas, l'écrit n'était pas juste l'aboutissement. Ce qui est beau, c’est de voir comment les textes vivent, comment ils se rencontrent dans le livre, et aussi sur scène. Mais malheureusement, il est sorti en 2019, quelques mois avant le confinement. On avait une date prévue au Théâtre de Liège en mars 2020 pour partager ces textes avec plusieurs autrices qui ont participé au recueil qui a été annulée. Par contre j'ai dit ce poème-là dans un autre projet qui s'appelle LaLeLa, par téléphone à des gens pendant le confinement et les mois suivants. C'était super, une ode aux femmes, « à celles qui nous donnent des ailes », et alors, il y avait par exemple une copine qui réservait pour 10 autres parce qu'elle l'avait entendu. Je trouvais ça hyper touchant parce que ça m’a mis vraiment en contact avec le sens premier de ce que je fais, le partage, et aller toucher les autres grâce à la poésie.
Peux-tu nous parler maintenant de la publication d’Un si profond silence ?
Anne Guinot : Ma deuxième expérience était autour d’un texte très intime. J’ai hésité pendant longtemps sans savoir si je voulais que ça devienne un livre ou pas. Mais ça restait très présent. Je l’avais envoyé il y a quelques années déjà à Antoine Wauters, éditeur de la collection If de L’arbre à paroles et il m’avait répondu – le fait qu’on ait pu un peu dialoguer m’a beaucoup encouragée. Il y a ce truc dans l’édition : on envoie et on n’a pas de réponses – je trouve ça assez dur. De mon côté, je me dis de plus en plus que chaque livre a sa place qu’il faut trouver laquelle. Entretemps, après ce retour, j’étais certaine de vouloir faire naître ce texte. Je suis française et j’avais donc beaucoup plus en tête de maisons d’édition de là-bas parce qu’il y en a plus, mais j’ai aussi envoyé au Canada, etc. En Belgique, au moment des envois, c’était aussi le confinement et des maisons comme Maelström expliquaient qu’elles ne recevaient plus de manuscrits, qu’elles étaient débordées, qu’il n’y aurait pas de possibilités avant 2022. Et moi j’avais besoin que ce livre soit publié vite.
Quelle a finalement été ta solution ?
Anne Guinot : C’est via les réseaux sociaux que j’ai pu trouver : j’étais en contact avec Marianne Bastogne, elle-même poète éditée chez L’Arbre à Paroles et d'autres. Elle a commencé une petite maison d’édition, L’âme de la Colline. Je lui avais demandé quelle était sa ligne d’édition et j’y voyais une ouverture. Un jour, un de ses statuts m’a interpellée : j’étais persuadée que mon livre allait faire écho – j’y ai vu une forme de rencontre, même si c’était par écran interposé. Elle m’a répondu très vite et après c’était l’aventure qui commençait avec l’objet-livre. Il est sorti en juillet, avec un tout petit tirage qui a rapidement été épuisé. On a fait un retirage.
Quels avantages as-tu constaté à publier dans une maison d’édition de proximité ?
Anne Guinot : Ce que j'ai bien aimé aussi avec cette toute petite maison d'édition, même s'il y a quelque part des difficultés - parce qu’il n'y a pas de distributeur, il n'y a pas d'agence de com’, etc. - c'est que c’est aussi une forme de liberté pour moi d'organiser des évènements qui sont peut-être moins classiques, de prendre vraiment part à la vie de ce livre, d'y penser avec l’éditrice, de réfléchir à ce dont on a envie etc. Et donc, je trouve cette proximité très chouette ! Moi, je suis une grande lectrice, donc il y a des maisons d'édition, des collections que j'adore, qui font rêver – on a envie de se dire « Tentons là-bas ! » Mais grâce à cette publication, je me rends compte que je ne voyais pas toute une partie des maisons qui existent ici et qui étaient plus accessibles.
Ian De Haes : Je me permets de rebondir sur ce que dit Anne – j’avais, et j’ai encore parfois l’idée que ça serait chouette de publier chez un très grand éditeur. Mais l’envie me passe de plus en plus parce que j’ai rencontré d’autres auteurs qui sont dans cette situation et qui sont certes contents parce que ça permet de plus grosses ventes et qu’ils sont visibles mais ils n’ont pas toujours un accompagnement aussi personnalisé. Chez Alice, ou toi Anne à L’âme de la Colline, nous sommes entourés de gens passionnés qui vont se battre pour faire exister le livre, pour le vendre, etc. On n’est pas juste un numéro dans une grande boîte. Cela me paraît important, surtout quand on commence.
Quel a été votre processus de création face à la commande qui vous a été faite pour la campagne ?
Anne Guinot : J’anime aussi des ateliers d'écriture, donc j'aime bien les contraintes, ça donne un espace à la créativité, ça la libère. J'aime bien aussi ce moment où on reçoit la consigne et où on se dit « Mais qu'est-ce que je vais pouvoir écrire ? » Ici j'ai eu besoin de laisser des choses émerger, d'écrire, puis de retravailler, puis d’y revenir. J'aime bien ce moment où, en fait mon corps, tout moi, sait déjà, mais ce n'est pas encore très conscient. Je me suis dit « Ah, mais la bibliothèque ! Mon rapport à ma bibliothèque ». J'ai cherché des images autour de la bibliothèque. Qu'est-ce que cela représentait pour moi, la bibliothèque ? Et donc, il y a des choses qui ont émergé. Je trouve qu’il y a un équilibre à trouver entre respecter la commande et rester connecté à soi, à ce qui fait sens et à une certaine liberté. Il faut s’autoriser, si rien ne vient qui soit à 100% dans le cadre, à se réapproprier vraiment les choses, pour aussi avoir plaisir à écrire ce texte. Qu’il ne soit pas juste quelque chose qu'on attend de nous. C'était la période des inondations, des incendies, un été assez chargé. Et moi, j'écrivais mon petit texte sur la lecture et sur toute la joie que j'éprouvais à me plonger dans un livre et je me suis sentie un peu privilégiée, comme protégée. J'ai vu des photos de livres complètement mouillés qu’une connaissance avait récupérés dans sa maison inondée. Le livre, c'est quelque chose qui m'a aidée à traverser des choses très difficiles. J'ai été profondément touchée par ce que les gens vivaient et donc j'ai voulu laisser une trace de ça dans mon poème, de comment parfois la vie bascule et comment les livres nous accompagnent, nous aident à traverser cela, de ce qui en nous ne peut être détruit. Quand je relis mon poème, je me dis qu’il y a un truc qui y fait effraction. Et c'est en fait ce qui arrive dans le traumatisme : ça débarque comme ça et ça vient complètement déstabiliser ta vie. Le livre, c'est pour moi un objet qui a une importance individuelle et sociétale, qui peut faire office de pack de survie. Ce n’est pas nécessairement du non-essentiel, il y avait aussi cette idée-là. Je me sens poétesse, mais en lien avec ce qui se passe dans le monde – pas juste isolée dans ma petite bibliothèque.
Le dernier vers de ton poème est « l’ombre de chacun /a besoin de lumière » - j’y vois un écho avec l’album de Ian, Superlumineuse, où la petite héroïne craint de devoir éteindre sa lumière parce qu’on finit de se moquer d’elle. Dans ton illustration pour la campagne, Ian, la lumière a aussi cette place essentielle : une jeune femme dans les transports en commun est absorbée par son livre, qui lui renvoie un halo quand tout est sombre autour d’elle…
Ian De Haes : Cela se passe dans le métro, oui ! Je me retrouve complètement dans ce que dit Anne : les contraintes, ça peut vraiment être intéressant. Je suis graphiste, donc il m’arrive de faire parfois des logos, des cartes de visite et je m’intéresse vraiment à ce que souhaite le client. Ici, il y avait un cadre donné et j’ai eu plusieurs idées qui à mon avis répondaient bien à la question. Et puis j’ai essayé de faire le tri et cette direction l’a emporté. Parfois j’essaie de mettre de côté une facette de moi trop scolaire et je tente de me dire que je dois trouver du plaisir. C’est pour ça que je vais davantage vers des scènes ou des situations où il y a de la lumière. Le personnage est devenu une femme mais ça aurait pu être quelqu’un d’autre. L’important, c’est qu’elle soit en train de lire. Maintenant quand je prends le métro ou les transports en commun, il n’y a plus tellement de gens plongés dans des livres et je suis toujours un peu attiré par ces gens-là ! J’ai envie de savoir ce qu’ils lisent et si je connais, ou pas. C’est un peu ce que j’ai voulu représenter ici : un petit moment hors du temps, qui permet la lecture – alors que d’habitude, on a tous le regard rivé sur nos smartphones, englués dans le quotidien, l’esprit parasité par ce que tu mentionnais, Anne : les inondations, le monde qui va mal, etc. Je trouve que c’est intéressant de pouvoir s’en échapper, que ça soit par la musique, la poésie. Ou ici, les livres, puisque c’était le cadre donné.
Anne, ton poème nous laisse imaginer chez toi un vrai goût du vocabulaire… ça m’amène à vous interroger sur votre rapport aux mots choisis !
Anne Guinot : Oui, il existe des tas de mots pour décrire les chants des oiseaux (ndlr : ceux cités sont : “zinzinule, chuchote, pépie, grisolle, tire-lire, turlutte, babille, flûte, siffle, caracoule, ramage”), je trouve ça magique ! À un moment donné, les oiseaux sont arrivés dans mon texte, donc je me suis dit que j’allais chercher des mots qui exprimaient leurs chants et bam, je suis tombée sur une liste merveilleuse de mots très évocateurs, très expressifs (rires) !
Ian, partages-tu cet émerveillement vis-à-vis du lexique ? Quand tu réalises un album seul, est-ce que c’est quelque chose que tu cultives ?
Ian De Haes : Oui, je suis très – voire peut-être trop – obsédé par le fait de trouver les bons mots et du coup, ça me bloque parfois aussi dans l’écriture. J’ai beaucoup plus de mal à m’exprimer – que ça soit à travers la parole ou l’écrit – par mots que par le dessin. J’ai écrit seul deux livres (ndlr : Superlumineuse et Les colères de Simon) et j’ai d’autres idées en tête et d’autres envies d’écriture mais pour moi ça demande un tout autre effort. Je prends du plaisir aussi à le faire mais c’est moins fluide. C’est probablement parce que je n’écris pas suffisamment, que je ne muscle pas assez cete partie-là du cerveau, peut-être (sourire). Pour Superlumineuse, par exemple, je me souviens que j’avais dix ou quinze versions différentes. Parfois c’était un changement de quelques mots, mais parfois je modifiais la structure complète du récit. Là intervient aussi une autre question : savoir quoi raconter exactement et dans ce cas, je crois que je voulais « trop » raconter. J’ai donc dû un peu raccourcir le texte. Le fait d’être bilingue intervient sans doute aussi : je suis né en Flandre et aujourd’hui, quand j’écris, quand je parle à ma famille ou mes amis, c’est en français. Mais comme ça n’est pas ma langue maternelle, je dois toujours faire un petit effort supplémentaire pour trouver le mot juste et parfois, il n’existe pas. Ou bien il existe en néerlandais mais pas en français.
Anne Guinot : J’ai envie de rebondir. Tu parles du mot juste, Ian, mais en fait, pour moi, quand je cherche par exemple les verbes qui expriment des chants d’oiseau, c’est comme si les mots étaient des couleurs. Il y a une force d’évocation qui est liée à la sonorité, c’est comme un tableau qui s’agence, en particulier quand j’écris un poème. Le mot est juste surtout s’il entre en résonance avec l’ensemble. Je ne vois pas dans « juste » le sens plus rationnel ou linéaire du terme. Je réfléchis avec une vision globale, avec l’énergie du mot, sa longueur, le rythme, la musique.
Ian De Haes : L’illustration et l’écriture ne sont pas si éloignées que ça ! J’aime bien que tu utilises l’image du « tableau de mots ».
Anne Guinot : Dans mon propre rapport à l’écriture, je sais que j’arrive rarement à faire aboutir un texte si je me demande : « Qu’est-ce que je veux raconter ? » Je suis incapable d’écrire un poème comme ça. Il y a un rapport assez sensoriel aux mots, en écho pour moi avec la peinture ou la sculpture, en lien avec la matière. Ce que je cherche à exprimer, je le découvre en écrivant.
Ian De Haes : C’est un peu différent de ma manière de construire un album, où on sait qu’il faudra un début, une fin et savoir un peu vers où on va.
Vos deux œuvres montrent le rapport intime au livre, ces moments où l’on entre de façon choisie en solitude. À travers vos professions, j’ai l’impression aussi que vous vivez des moments où la lecture est un acte communautaire. Comment trouvez-vous l’équilibre entre les deux ?
Anne Guinot : J’ai l’impression que chez moi, les deux se nourrissent vraiment. Certaines publications partagées sur les réseaux sociaux vont m’interpeller et je vais noter les titres, aller les voir ou les acheter. Un livre pour un atelier d’écriture, je vais en choisir des extraits et partager des mots, et à son tour, ça va faire naître d’autres mots. Le livre de ma bibliothèque n’est plus vraiment seul : il est désormais lié aux textes qu’il a déclenchés. J’ai un rapport vivant à plusieurs espaces : mon espace « bibliothèque » qui est très personnel, les réseaux sociaux où il y a des échanges, des allers-retours, où on montre et découvre des livres – des fois c’est juste des couvertures, mais il en reste quelque chose - et les espaces de partage comme les ateliers. Avant, je passais beaucoup de temps dans les librairies, ma méthode est un peu particulière : je flâne le long des rayons, je lis tous les titres et ça constitue une espèce de poème. Quand il y en a un qui me plaît, je le prends, je le regarde, je l’ouvre et lis des passages – tout ça prend du temps. Aujourd’hui, j’ai déménagé à la campagne et j’ai une petite fille : je n’ai plus vraiment la même latitude. Les réseaux sociaux remplissent parfois un peu le même rôle. Parfois je découvre des titres juste à travers des citations que quelqu’un a posté, sans lire le texte en entier mais par bribes. Je m’ouvre à d’autres manières de rencontrer les œuvres. Aussi en partageant ou en écoutant des lectures, par exemple – ça a été beaucoup développé pendant le confinement, avec notamment La Bibliothèque des Confins.
Ian De Haes : Je vais aussi moins souvent en librairie qu’avant, mais j’y ai travaillé. Les livres, ça n’a jamais été pour moi quelque chose de vraiment solitaire – dans cet ancien métier, je partageais mon amour des livres. Ici, quand j’illustre, c’est toujours un partage avec l’auteur ou l’autrice, dont souvent ma compagne. Il y a aussi évidemment les échanges avec l’éditrice, mais aussi les rencontres dans les classes – je vais régulièrement dans différentes écoles. Le moment en soi de la lecture est évidemment solitaire, mais je lis aussi à mes enfants et là encore, une connexion se crée. Depuis que je ne suis plus libraire, les moments de création et d’illustration du livre sont évidemment en solo, dans mon atelier installé dans mon grenier. Mais je suis d’autant plus heureux ensuite d’aller voir les lecteurs, les élèves, de participer à des salons du livre. Les séances de dédicace sont toujours enrichissantes. Quant aux réseaux sociaux, ils nous permettent le plus souvent d’avoir de chouettes retours sur nos livres.
Auriez-vous des conseils de livres belges lumineux, de ceux qui pourraient figurer dans votre besace de survie, qui seraient des poires pour la soif ?
Anne Guinot : Oh, il y en aurait plein ! Déjà, j’ai souhaité en glisser huit entre les lignes de mon poème, qui sont venus le nourrir : Forêt-Mémoire de Chantal Deltenre (maelstrÖm reEvolution), Au bonheur des morts de Vinciane Despret (La Découverte), Aérer la maison d’Anne de Roo (Esperluète), Débordements de Dominique Massaut (maelstrÖm reEvolution), De temps en temps d’Anne Herbauts (Esperluète), L’ombre de chacun de Mélanie Rutten (MeMo), Ouf de Laurence Vielle (maelstrÖm reEvolution) et Poèmes de roches et de brumes de Carl Norac (Le port a jauni). J’adore la collection Orbe, chez Esperluète, des entretiens avec des auteurs ou autrices, menés par Frédérique Dolphijn. Michaux, il est belge, en fait, non (rires) ? De lui, je propagerais bien L’espace du dedans. Parmi les autres titres qui ont beaucoup compté pour moi, il y a aussi Hôpital Silence de Nicole Malinconi chez Espace Nord et Pour trouver la clé, il fallut perdre la mémoire des serrures de Claire Lejeune, à l’Arbre de Diane. J’ajouterais enfin Oedipe sur la route d’Henri Bauchau (Actes Sud).
Ian De Haes : Difficile comme question, car finalement j’accorde peu d’importance à la nationalité de l’auteur du livre que je lis. Bien que j’aime retrouver des lieux, des références que je connaisse et qui me font peut-être moins voyager mais me font voir et apprécier différemment les choses que je connais. Je remercie pour ça Myriam Leroy, autrice et avant tout amie, qui revendique le fait, avec Ariane, que Nivelles (entre-autres) peut être un décor aussi intéressant que New-York par exemple. Comme autre raconteur d’histoires je citerais l’excellent Thomas Lavachery, qui arrive chaque fois à m’emporter dans ces histoires pour ados (mais pas que), et qui en plus dessine admirablement bien. J’aime le fait qu’il raconte de vraies aventures qui font résonner l’enfant en moi. Son dernier album, Lily sous la mer en est un bon exemple. Je citerais Anne Brouillard pour ses magnifiques illustrations à l’aquarelle et sa facilité à construire des univers chaleureux dans lesquels on se sent bien, des livres qui parfois ne racontent pas grand-chose, mais disent tellement. Elle fait naitre l’extraordinaire dans l’ordinaire et dessine si bien les forêts, les maisons, les rivières et les rues de notre pays. Sa série Au pays des Chintiens est magnifique tant dans la forme que le fond. J’aime également le travail de Kitty Crowther pour la force de ses dessins et sa liberté à traiter de sujets importants avec profondeur, comme dans La visite de la petite mort, Moi et rien ou encore Le petit homme et dieu. Je pourrais encore citer Mélanie Rutten pour son incroyable utilisation des couleurs et la légèreté de ses histoires.