Dans la perspective des Rencontres de la Webcréation #10 (« financer et développer un projet d’écriture hybride »), nous vous proposons de découvrir les porteurs de projets innovants qui seront présents lors de la discussion.
Dessinatrice, scénariste, musicienne hip hop lo-fi au sein de Boroboro (avec Chariospirale) et habituée des aventures narratives collectives ou circonstancielles, exaheva vient de publier le premier des deux tomes de Mekka Nekki chez Vide-Cocagne (soit les 19 premiers épisodes sur 424 pages), avec Félix Laurent au dessin. Cette saga d’aventure sur une planète peuplée de monstres met en scène Nikki, une adolescente à la recherche de son père et Perko, un robot qu’elle a miraculeusement réparé. Sur le principe du feuilleton (et avec la même liberté que le fanzine), l’intégralité est d’abord publiée en ligne et disponible gratuitement et fait partie, comme d’autres séries, webcomics ou expérimentations, de la collection Attaque surprise, plateforme qu’elle a développée avec Mortis Ghost.
L’autrice multidisciplinaire qui se définit surtout comme dessinatrice est par ailleurs l’une des 27 sélectionné.e.s (au sein d’un panorama qui se veut multi-générationnel et multi-genres, comme un instantané varié de la création belge contemporaine) pour l’exposition United Comics of Belgium à venir au Centre Belge de la Bande Dessinée (CBBD), en partenariat avec l’Aka et l’Abdil.
Mais son œuvre la plus innovante, passe-frontières et personnelle (dans la mesure où elle signe cette fois conjointement le dessin, le scénario et le design interactif) doit encore être éditée en intégralité. Intéressée par les modes de narration numérique, le jeu vidéo et l’interactivité, elle a semé pendant ses études à Saint-Luc (Bruxelles) les premiers jalons de ce projet, n’hésitant pas, dès 2011 à expérimenter sur son blog, depuis les premières tentatives de récit scrollé à la BD comédie musicale, du générateur de strips à Mais oui mais oui (avec Thomas Mathieu), une narration où le lecteur choisissait le ou la protagoniste à incarner. En 2015, dans le cadre de son master à Sint-Lukas (Bruxelles), elle réalise le premier chapitre de Still Heroes, qu’on trouve disponible en ligne à prix totalement libre accompagné de l’introduction.
Véritable « onni » (objet narratif non identifié), cette bande-dessinée conçue pour les ordinateurs ou tablettes nous met aux prises avec Émeline, jeune femme dotée de superpouvoirs, déçue que ses amis aux capacités similaires veuillent se ranger de la vie héroïque. La voilà réduite à ne plus utiliser ses éclairs que pour activer la machine à café ou décrocher le téléphone plutôt que de pourfendre le mal !
Voici ce que dit exaheva du sous-texte polysémique de Still Heroes : « L'histoire d'Émeline peut avoir plusieurs angles d'interprétation, la difficulté du passage à l'âge adulte en est un, mais c'est aussi au sujet du moment où l'on entre dans la vie active et qu'on ne sait pas quoi faire, et aussi la difficulté de suivre une voie qui est une "passion" à l'opposé d'un travail plus classique. Mais cela rejoint le côté passage adulte avec l'opposition de "rêve d'enfant" face à la réalité de la société du travail ».
Développé sur Unity (avec la complicité de Max Dolmans pour le code) et ayant bénéficié du regard de beta-testeurs, l’objet final (aussi disponible en anglais, dans une traduction de Véronique Sidler et Michelle Abbet) n’est pourtant pas, de l’affirmation-même de son autrice, un jeu vidéo. S’il fallait le définir, on pencherait plutôt pour un hybride qui mêlerait la linéarité (toutefois joliment bousculée, et loin du gaufrier six cases traditionnel) de la bande-dessinée et certains principes des jeux point’n’click sans toutefois permettre de choix multiples aux utilisateurs. On y navigue entre chaque partie avec les flèches du clavier et le point d’interrogation signale qu’une action (scroller, taper sur le clavier, déployer des cases etc.) doit être réalisée pour faire progresser la narration. Dans les chapitres qui suivent, des effets sonores feront également partie de ce qui est mis en place. Mais loin d’être des gadgets, ces effets cherchent à rendre l’histoire attractive et à ce qu’elle reste au cœur du processus - pas à jeter inutilement de la poudre aux yeux.
L’intégralité des chapitres a désormais été réalisée, grâce à des fonds remportés via un concours organisé par la Province de Liège, permettant au lauréat d’avoir recours aux ressources techniques du Digital Lab et aux conseils d’un professionnel en cas de besoin. À la clé, une présentation du projet finalisé pour l’édition 2020 était prévue.
Avec un pied du côté du jeu vidéo et l’autre du côté de la BD, trouver une structure à même de diffuser amplement Still Heroes et de communiquer à son sujet via un·e attaché·e de presse est un défi (du côté éditorial traditionnel, il arrive qu’on soit frileux) que compte bien relever son autrice, mais porter un projet innovant pourrait en soi contribuer à ouvrir de nouvelles portes… pour elle, comme pour d’autres !
Cela fera partie des questions et pistes de réflexion qui seront mises en commun lors des Rencontres de la Webcréation #10 – financer et développer un projet d’écriture hybride, ce jeudi 18 février à 14h, dans le cadre de Futuranima.
Illustration © exaheva